Tu sais, je crois que je me souviendrai toujours de ce soir de décembre 1997 quand, pour rentrer chez mes parents, après une journée trop longue à choper des escarres sur les bancs du lycée, je passai devant cette librairie de la Porte de Saint-Mandé en divaguant. Il faisait froid, je le sais encore aujourd’hui, des années plus tard, car je sens toujours, je ne sais pas si tu vas le croire, cette chaleur soudaine qui me submergea quand sa présence éclata au centre de la vitrine. C’était bleu, grand, ça trônait au milieu d’autres merdes culturelles sans intérêt, ça dominait de son éclatante beauté toute la fange qui l’entourait. Il y avait ce mec de type bridé en chemise blanche, avec ce sourire étrange sur le visage, tenant un flingue sur sa propre tempe : Takeshi Kitano. C’était sous cellophane avec une boursouflure dans un coin : une VHS. Un Jackie Chan en Nikki Larson. J’étais donc, tu imagines, en mode freeze intégrale devant le roi des magazines. Impossible de redémarrer, de tracer ma route sans occasionner à mon neurone des dommages irrémédiables. Il me le fallait mais je n’avais pas un flèche. Un coup d’œil dans l’antre sombre inhospitalière derrière le carreau, où on ne distinguait pas âme qui vive, acheva de me convaincre. J’allais devenir Mesrine, mon pote. M’en bats les rouleaux, fallait pas me faire bisquer avec le Graal. Prenant mon courage légendaire à deux mains pour pas qu’il se fasse la malle, j’entrai dans l’échoppe à feuilles de choux et, constatant que le patron était un truc tout vieux à mobilité réduite Jean D’Ormesson-like, je m’arrêtai sur le seuil, le cœur battant. A ma gauche, l’objet de mon désir. En face, le cerbère flétri et, semble-il, inoffensif. Je glissai ma main dans la vitrine, souple et rapide comme le félin, prêt à bondir, alors que la porte d’entrée était encore ouverte, en zieutant l’ancêtre qui semblait dormir debout et je tournai les talons de mes Converse All-Star en courant aussi vite que le vent. Tout ça avant que la momie n’ait relevé la tête.
Voilà, j’avais versé du côté obscur, du côté sombre de la Force. Une racaille de la pire espèce. Je le dis aujourd’hui car, d’une part je suis un homme bon, désormais que j’ai rencontré Jésus et que je suis son chemin lumineux en chantant sa gloire, lavé de mes péchés passés et, surtout, il y a prescription. Je ne suis pas fier mais c’était des années noires. Une sorte de Moyen-âge. On mangeait des cailloux, je ne sais même pas si y avait 6 chaines de télé et internet c’était ta main. Je te parle d’une époque où les téléphones portables, c’était tes deux mains autour de ta bouche et parler fort dedans pour que ton interlocuteur t’entende et ça ne fonctionnait pas des masses. Enfin bref, c’était trop cher. Et puis c’était bientôt Noël et même si chez moi y avait du musulman, on ne déconnait pas avec la Nativité. Et si le Papa Noël c’était pas moi, et bien, c’était personne. Alors crotte.
HK Orient Extreme Cinéma. Tu sais, déjà le nom claquait. Je venais de découvrir «Les Syndicats du crime» de John Woo sur Canal. Le choc, bien entendu. Le choc qui te fait te demander où t’étais pendant ce temps-là ? Comment tu avais fait pour échapper à ça jusque-là ? Une cicatrice et sa douleur qui se réveille souvent quand il fait froid. Un autre monde qui ressemblait au nôtre mais en tellement plus fou, plus chevaleresque, noble, qui jonglait sur les amitiés viriles, les ballets martiaux ou de poudre et de plomb. Et HK Orient Extrême Cinéma, c’était une fenêtre sur cet univers. Ça sortait tous les six mois, il me semble, et il y a eu quinze numéros. Dont un numéro zéro que j’ai acheté… sur une brocante en Normandie des années plus tard. Totalement bleu celui-là, avec Brigitte Lin dans Zu en couverture. Je crois que c’est la première fois que ma fille m’a vu pleurer. Et puis si quelqu’un a le numéro 9 sur les sabreurs dans un état pas trop dégueulasse, je suis preneur parce que le mien a les pages toutes collées sur les photos de David Chiang…
Mais pourquoi je te raconte tout ça, purée de sa mère ? Oui ! Le type qui chapotait ma nouvelle bible, c’était Christophe Gans. Le mec de Starfix aussi. Et là, je viens de revoir «Le Pacte Des Loups»… Et c’est toujours dur de dire du mal d’un mec qui a un peu contribué à construire un truc en toi. On savait déjà que les critiques ne faisaient pas souvent les meilleurs cinéastes mais là, c’est chaud. Il y avait déjà eu Crying Freeman pour nous dire «Hé oh, les copains, je suis le film qui prend dix ans à chaque visionnage tellement je recycle dans la pose ce que j’ai vu ailleurs», mais on pouvait mettre ça sur le compte de la jeunesse, une façon de solder l’ardoise de fanboy et cultiver l’infime espoir de passer à autre chose. Mais non, le mal est plus profond. Le mec a des années de cahier critiques à solder. Premier point noir, rédhibitoire, c’est LaMule LeBihan. Je n’ai rien contre cette truffe mais ce n’est juste pas possible. Le mec est aussi crédible et naturel que Manuel Valls. Comme si tu prenais Renaud pour jouer le général Patton. Ou Dany Boon pour Conan, Louis de Funès en Attila... Le truc qui irait sans doute avec une parodie mais pas avec un film qui se voudrait un tant soit peu ambitieux et vraisemblable. Naturaliste et érudit, alors que son regard ne reflète que le désir fiévreux de voir passer les trains en mâchonnant de la bonne herbe. On sent que lui-même se demande ce qu’il fout là. Et un casting qui, dans sa grande majorité, cachetonne sans honte, poudré, dans ce pauvre regard sur la bourgeoisie de province, aux poncifs éculés. Ça pèse sur tout le film, en plus des lourdeurs inhérentes au cinéma de Gans, ultra marqué par ses références qui transpirent, pataudes, mimétiques, gênantes. Alors on commence par Angélique (en pas bandant) contrairement à Michèle Mercier et ses tétons qui pointent sous son chemisier humide sous l’œil affamé du puceau Giuliano Gemma, on essaie d’approcher la Hammer mais on reste en Lozère, on ricoche sur Jaws sans que la moindre goutte de sang ne tache l’immaculée bergère à la beauté virginale, on essaie de passer faire coucou à Argento ou Chang Cheh mais les mecs auraient détourné le regard de honte. Un triste film à l’image de sa créature, malformée, épouvantable boursouflure, qui passe dans ce melting-pot nauséeux à l’anachronisme guilleret. Mis à part les scènes de combat, le montage est paresseux et la narration vaporeuse se raccroche à une voix off pathétique. Ajoute à ça une absence totale de fun, une direction d’acteurs chaotique et tu te retrouves avec une triste resucée du film d’aventures à la française, à la prétention sans nom et au mauvais goût insidieux, figeant Gans dans une sorte de Tarantino qui n’aurait pas réussi à digérer ses influences, se retrouvant, pour le coup, incapable de créer un univers cohérent sans que ça ressemble à un cocktail criard et sans âme.
Alors qu’à mes yeux, il incarnait le Père Noël il y a de ça quelques années, Gans livre, avec ce film, un non-cadeau, un machin périmé au goût intolérable.
Comme quoi, l’amour pourrit tout…
DjeeVanCleef
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le 12 déc. 2014

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