Il était un film à l'aura bien trop consensuelle à mes yeux. Mais toute la mauvaise foi de SC ne peut rien, tout le cheptel de trolls de la toile est nul et non avenu ; je ne parviens pas à lui trouver une lacune. C'est un monolithe du cinéma, sans aspérités, sans failles. Pour m'éviter la litanie de superlatifs déjà bien embarquée, j'arrache au roc de Coppola trois éclats particuliers, trois fragments inégalés.


"I believe in America."
Premiers instants, gros plan sur un homme brisé, qui voulait croire au rêve américain. L'objectif s'éloigne doucement, révèle un bureau sombre et feutré. Son interlocuteur massif se dessine, le Parrain. Ridiculement bourré de coton, Brando dévore l'espace lourd de la pièce, happe la lumière. Le Lion domine sans effort, joue négligemment avec son petit congénère. Sûr de sa force, il accorde un respect sincère à ses sujets. Cette aura habitera tout le film.


"This one time, I'll let you ask me about my affairs."
Dans son nouveau trône, Michael affronte l'ire féminine. Sa métamorphose est accomplie. Sans avoir les mêmes contours, le jeune soldat, idéaliste et discret, a gagné l'ampleur du père. Le nouveau maître est froid et manipulateur. Le Loup a succédé au Lion.
Cette scène construit en deux temps le mur infranchissable qui écartera Michael de sa famille. D'abord ce mensonge à sa femme. Pour la garder, Michael sacrifie son respect pour Key. Le sait-il ?
Enfin à travers cet encadrement de porte, portrait d'un nouveau Dieu adulé, Key comprend-t-elle qu'elle n'aura jamais plus le droit de franchir ce seuil ?


"Anthony, come here."
En toute subjectivité, la plus belle scène du cinéma. Un cri d'amour d'un réalisateur pour son acteur.
Dans son potager, un homme joue avec son petit-fils et meurt. La justesse et la sincérité qui rayonnent pendant ces quelques minutes me laissent chaque fois bouleversé. Un instant de grâce. Il faut dire, cet homme ressemble tant à mon grand -père : ces gestes, ce sourire, ces intonations si semblables. Magie du cinéma ou transfert affectif douteux, j'aime cet homme comme mon grand-père. Je ne sais plus où se trouve la fiction.


L'injustice a tranché. Toutes les autres scènes restent dans un oubli, relatif. Avec patience, elles attendent, prêtes à ensorceler d'aventureux cinéphiles.
Raf
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le 14 janv. 2011

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Raf

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