Enfin faudrait pas que les deux loups soient de la même meute, sinon ils seraient potes et ça n'aurait aucun sens, déjà parce qu'être pote avec un loup on voit pas ça tous les jours, puis lorsque t'es pote avec quelqu'un ou quelque chose (bien que l'animal ne puisse être considéré comme une chose... Autre débat...) c'est pas commun de chercher à le buter. Quoi que, en prolongeant l'analogie faite par le film entre les deux espèces, y a fort à parier que deux loups de la même meute puisse ne pas se piffrer, comme ça peut arriver chez l'humain. Tu prends Warrior par exemple, t'as deux frères, lien familial ultime, qui se foutent sur la tronche bien violemment. Dis comme ça le film peut te sembler con néanmoins je te le conseille, c'est pas toujours fin, y a pas mal de gras à enlever (du style la femme et les élèves de Brendan), cependant il y a une composante non-négligeable insufflée à ce film : L'amour. Gavin O'Connor aime son histoire, aime ses personnages, aime Philadelphie et ses environs, et met donc toutes ses tripes dans ce long-métrage.


D'un postulat tout aussi con, celui de voir Liam Neeson péter la gueule à des bêtes enragées, on arrive à la même conclusion pour Le Territoire des Loups (encore en mieux même). S'éloignant très rapidement de la bêtise d'un tel affrontement, Joe Carnahan tire profit de son cadre glacial pour déployer une œuvre désespérée aux partis pris sans concessions.


Genre propice à l'exercice de style, le survival endosse ici une enveloppe crue plongeant le spectateur dans cet enfer de neige, gardé par des loups aux proportions massives. Limité par un budget modeste, le film (r)use de procédés malins pour dissimuler les bêtes dans la pénombre et les iconiser, préférant jouer sur l'effroi(d) (putain on se marre) de la suggestion plutôt que sur un conflit frontal. Ainsi, bien qu'au centre du récit, les loups ne deviennent qu'un moyen pour nos personnages de laisser parler leurs peurs, leurs tourments et leurs souffrances.


Rappelant son talent pour jongler entre différentes tonalités, Joe Carnahan parvient à se dépatouiller de dialogues parfois grossiers et mal amenés pour en extraire chez ses personnages une maladresse touchante à parler d'eux et garder la tête froide face à une situation qui les dépasse. Même maladresse que l'on retrouve dans l'apport de flash-backs et son leitmotiv musical, aussi mal amorcés que gracieux et mélancoliques.


Parvenant à surpasser sa maigre ambition de série B sympa, le caractère dépressif qui parcourt, dès son introduction, Le Territoire des Loups repose sur une approche intimiste de la situation en voguant tour à tour entre les mentalités des personnages, tous profondément humains. Bien que remarquablement rythmé, le film ne regorge que peu de scènes d'actions, et encore moins de combats avec les fameux canidés. Ici, les loups attaquent, des gens meurent, l'héroïsme est absent, le réalisme tragique de la situation est, lui, présent.


Cette immersion et cette profonde empathie ressentie passent par un soucis d'identification dans la démarche sensorielle. Bien que ne souffrant pas d'un visage aux multiples plaies ou d'une jambe marquée par les crocs d'un loup, le sifflement du vent et les nombreuses tombées de neige installent le spectateur dans une position à la fois désagréable et fascinante. Désagréable, c'est évident, mais fascinant pour son esthétique jusqu'au boutiste dans le naturalisme et l'austérité. Tourné avec des pellicules 35mm, la présence d'un grain extrêmement fin et omniprésent tourne le dos à une tendance au numérique facile pour renouer avec une approche artisanale au rendu saisissant de désolation.


De l'action in situ aux péripéties barbares et brutalisantes pour les sens s'oppose le calme froid voire déconnectée de la situation humaine se déroulant à ses pieds d'une forêt qui n'en finit pas de se prolonger, magnifiée par ces teintes bleutées si accrocheuses et funestes. Comme ils le peuvent les rares rescapées du crash (déroutant d'intensité) s'accrochent à de minces espoirs de retrouver une civilisation qui pour certains n'a plus rien à leur donner, personnifié par une montre GPS ou une souche d'arbre, rêve d'un retour brisé par ces troublants plans de cette nature sauvage.


Paradoxalement, c'est dans leurs derniers retranchements que ces marginaux, pas toujours attachants de par leur sale boulot et leur goût prononcé pour la bouteille et la baston, se révèlent le plus empathique, dans la manière dont la mort s'empare de leur personne. Qu'elles soient extrêmement violentes ou poétiquement implicites, elles manifestent un sentiment de proximité chez le spectateur parfois inattendu, alors que la mise en scène s'applique à les montrer tout du long au bord du gouffre (voire au dessus) grâce à une caméra constamment placée là où il faut être.


Tout dans Le Territoire des Loups respire la passion. D'une production infernale aux conditions climatiques difficiles découle une sincérité pour traiter son sujet, un acharnement à éprouver le spectateur par une immersion impitoyable. Le Territoire des Loups est certes mal poli, il n'en demeure pas moins brillant. C'est un diamant brut.

-Icarus-

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