Tintin ne sera jamais américain
Quitte à activer Canal Replay chez mes géniteurs adorés, autant tester le service une fois l'opération terminée. Tête de gondole en affiche : "Les aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne". Baste ! J'ai deux heures à tuer avant le pré-réveillon de Noël, un chat sur les genoux qui m'empêche d'aller me chercher le tome 11 de Gaston Lagaffe, allons jusqu'au bout des tests fonctionnels, validons la recette avant mise en production.
Alors... Je ne vais pas rejoindre le rang des tintinophiles haineux (qui ont toutes les raisons d'abhorrer la chose), mais je reste quand même plus que dubitatif quant à la pellicule proposée par Steven Spielberg. Commençons par les points à mon sens réussis. L'animation des personnages (Merci Cameron de filer ton matos d'Avatar à tes potes) est bluffante, l'ensemble est techniquement irréprochable (à préciser, vu en 2D). Le graphisme général est magnifique quant aux décors, objets, etc... Beaucoup plus de mal pour les personnages cela dit, Tintin en tête. Mais je savais que je ne pourrais pas être satisfait sur ce point, tant le registre du style ligne claire est à mon sens le plus inadaptable en animation texturisée. Le scénario m'a agréablement surpris. Je m'attendais à un truc foutraque au possible, prétexte à mélanger trouzemille albums de Tintin. Il est effectivement prétexte, mais il tient la route dans les grandes lignes et le méchant sorti de l'imagination des scénaristes n'est pas à jeter aux oubliettes honnies (et puis comme ça, ils n'ont pas essayé de caser Rastapopoulos sans justification).
Ensuite, dans le détail du scénario, là ça devient tout de suite plus problématique... Pour la simple et bonne raison que plutôt que de se baser sur le Tintin enquêteur journaliste, il s'inspire bien plus du Tintin des débuts cavalant en tous sens (mais oublie l'humour qui y est associé), préférant user de des subterfuges les plus grossiers possibles pour enchainer les scènes d'action les plus idiotes qui soient à coups de plans séquences massacrant le legs de Tintin.
Parce que Tintin, au delà de toutes les considérations de partouzeurs de droite versus anarchistes pédophiles aux débats enflammés quant à la légitimité du personnage en tant que héraut de la bande dessinée franco-belge, c'est un sens du rythme fantastique, un découpage minutieux de l'action d'une case à l'autre. Qu'il aurait été simple et adapté pour Spielberg de décrocher sa caméra virtuelle du wagon de montagne russe lancée constamment à tout berzingue pour filmer posément, et passer un temps conséquent dans la salle de montage afin de retranscrire l'essence du rythme de la BD d'Hergé. Qu'il aurait été judicieux de préférer des scènes d'actions propres et vraisemblables associées à une tension de chaque instant plutôt que ce perpétuel défilé de délires improbables, à coups de bateaux naviguant à l'horizontale et autres bazars dévastés ?
Non, Tintin n'est pas Indiana Jones, qu'on puisse faire ici ou ailleurs une comparaison entre ces deux mythes antinomiques du personnage d'aventure, qui plus est pour justifier la qualité du film, m'agace profondément. Indiana Jones, c'est l'action pure dans toute sa démesure associé à un humour bon enfant, parfois cinglant niché dans des punchlines calibrées. Tintin, c'est le voyageur, qui découvre, explore, dialogue, réfléchit, et distrait par son comique de situation, ses gags potaches.
Tintin, malgré tous les efforts de Spielberg et bientôt Peter Jackson, n'aura jamais l'étoffe d'un héros américain (le box office US en a d'ailleurs attesté). Il est d'un cuir différent, profondément européen, Franco-belge. Belge. Et c'est ce qui fait toute sa qualité.