La première fois que j'ai vu ce film, crois-moi si tu veux, c'était sur FR3. L’ancêtre de France3. Et ça devait être un jeudi, il me semble. Je l'ai vu, accroupi derrière la porte du salon entrouverte pour ne pas que mes parents me voient. Eux qui m'avaient congédié comme un môme alors même que je plaidais ma cause.

Ce film, flûte, il fallait que je le voie. Coûte que coûte! C'était primordial, ma vie en dépendait.
J'avais tout tenté, du «Non mais vas-y steplé, fais pas ta pute» au «Vous voulez que je crève de honte quand les potes se foutront de ma gueule demain à l'école ?» en passant par «Je vous déteste, vous êtes des monstres, mes vrais parents ne me feraient jamais ça, vous m'avez enlevé, c'est obligé, il est où le numéro pour dénoncer les kidnappeurs d'enfants?».

Alors, dans ma grenouillère-pyjama (bah quoi?), accroupi, je respirais par la bouche, pour que pas même un sifflement de narine ne m'échappe. J'allongeais le cou pour qu'il passe sans encombre le peu d'espace entre la porte et le mur, espace que je considérais acceptable quand à l'accomplissement de ma mission sans prise en flag par l'ennemi : j'avais un œil sur l'ombre de ces gens, à gauche, et un autre sur la lueur salvatrice du téléviseur, à droite. Ils allaient devoir payer pour ce strabisme dont ils seraient la cause. Bien fait!

Et puis, tu sais, quand le film t'absorbe, que tu ne fais plus qu'un avec lui, qu'il te ferre sévère, faisant de ta future vie de baigneur un enfer sec, un regard inquiet scrutant au loin un aileron malveillant, faisant de toi celui qui reste sur la plage, pour garder les serviettes... « Mais tu sais, personne ne vole les serviettes, Djee ? ».
« Bien sûr que si, ma serviette PSG, il y a bien un connard qui va me la voler ou pire, chier dessus ».

Des excuses pour ne jamais avoir les pieds dans l'eau. Merci Spielberg, merci mes faux-parents (de ne pas avoir empêché un pauvre mioche d'être traumatisé à jamais).

Je voulais être tout le monde dans ce film.
Brody (Roy Scheider), le shérif qui a peur de l'eau, Hooper (Richard Dreyfuss) le scientifique beatnik, Quint (Robert Shaw) le vieux loup de mer. Bon c'est pas vraiment tout le monde, mais ce sont les principaux. Tu veux que je te dise, je voulais même être Bruce le carcharodon carcharias (parce que c'est le plus fort), Spielberg (pour raconter des histoires qui font peur, mais qui font sourire aussi), Milius (pour le monologue de Quint).

Et puis je voulais sortir avec Marion, mais elle en pinçait pour Hervé Bellaiche.

Je voulais être grand pour ne pas avoir à rendre des comptes quand je voulais voir un film. Je voulais fumer des Gitanes maïs et surtout, je ne voulais pas que ce cri m'échappe, que mon père l'entende et qu'il me dise : «Quand t'auras fini de miauler, tu me ramèneras une bière».

Djieke.

(qui ne fume pas de maïs, mange de la soupe de requin et boit de la bière en gardant les serviettes).
DjeeVanCleef
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 11 oct. 2013

Critique lue 1.9K fois

89 j'aime

41 commentaires

DjeeVanCleef

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

89
41

D'autres avis sur Les Dents de la mer

Les Dents de la mer
Sergent_Pepper
9

We’re gonna feed a bigger throat.

Autour de l’île d’Amity, l’eau qui scintille est une promesse universelle de loisir. Pour les étudiants et leurs joints, dont les bains de minuit forgent parmi les plus beaux souvenirs d’une jeunesse...

le 14 sept. 2014

108 j'aime

15

Les Dents de la mer
DjeeVanCleef
10

Derrière la porte (entrou)verte..

La première fois que j'ai vu ce film, crois-moi si tu veux, c'était sur FR3. L’ancêtre de France3. Et ça devait être un jeudi, il me semble. Je l'ai vu, accroupi derrière la porte du salon...

le 11 oct. 2013

89 j'aime

41

Du même critique

Retour vers le futur
DjeeVanCleef
10

Là où on va, on n'a pas besoin de route !

J'adore "Retour vers le futur" et j'adore le couscous. C'est pas faute d'en avoir mangé, mais j'adore, ça me ramène à une autre époque, une époque où j'avais empruntée la VHS à Stéphane Renouf -...

le 22 mai 2013

204 j'aime

32

Les Fils de l'homme
DjeeVanCleef
10

L'évangile selon Thélonius.

2027, un monde où les enfants ne naissent plus, comme une malédiction du Tout-Puissant, un courroux divin. Un monde qui s'écroule sous les coups des intégrismes de tous poils, où seule, la Grande...

le 26 juil. 2013

194 j'aime

36

Rambo
DjeeVanCleef
9

La chasse.

Welcome to Hope. Ses lacs, ses montagnes et Will Teasle son Shérif. Plutôt facile de faire régner l'ordre par ici, serrer des pognes et éviter les embrouilles. Par exemple, escorter cet intrus, ce...

le 13 mai 2013

181 j'aime

46