Un conte magique entre élégance et délicatesse

Troisième film majeur du cinéaste, Les Enfants Loups, Ame & Yuki se penche à nouveau sur la famille. Après l'avoir abordé à travers le prisme du voyage temporel (La Traversée Du Temps) et l'ubiquité entre monde réel et monde virtuel (Summer Wars), Mamoru Hosoda propose ici une approche radicalement différente. Le postulat du film est simple : résumer treize années d'un récit consacré à l'embellissement du passage de jeune femme à mère en deux heures (un processus que seule l'animation pouvait permettre).

Pour cela, Hosoda met en scène Hana, une étudiante de 19 ans énamourée d'un garçon solitaire qui va lui révéler sa nature mi-homme mi-loup. Leur union donnera naissance à une fille, Yuki, et un garçon, Ame, deux enfants aux caractères bien opposés qui ont hérité de cette particularité. Ce bonheur est très vite entaché par la mort accidentelle du père, laissant ainsi Hana seule pour faire face aux responsabilités d'un tel secret.

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Une narration élégante au service d'un récit initiatique ambitieux

Le film nous entraîne dans ce périlleux exercice qu'est l'éducation, qui plus est de deux enfants dont la nature bipolaire va poser les bases du récit et engendrer une multitude de choix de la part d'Hana. Cette mère courage va en effet sans cesse devoir apprendre comment gérer cette situation particulière à l'image de cette scène touchante où elle hésite entre un pédiatre et un vétérinaire pour soigner la maladie du jeune Ame. La richesse de ce point de départ narratif – ancré dans le réel malgré une touche de fantastique - permet au réalisateur de distiller dans son film de multiples réflexions en toile de fond. Les thèmes telles que l'apprentissage de la différence, la maternité, l'opposition civilisation / nature, le déterminisme, la difficulté du choix, la nostalgie d'un Japon lié à la terre, l'entraide entre villageois, le rapport à autrui, etc. se concrétisent à travers un enchaînement cohérent de morceaux de quotidien dont la justesse du traitement est remarquable.

La construction des personnages est admirablement orchestrée dans un rythme narratif alternant gags et moments dramatiques. Les voir grandir et évoluer au fil du récit, étape par étape, est un sacré privilège d'autant que l'expressivité des trois protagonistes - qui doit beaucoup à la qualité du travail effectué sur le doublage – permet très tôt de s'identifier à Hana, Ame et Yuki en partageant avec eux les moments doux et amers de la jeunesse. Si on devine très vite l'aboutissement du récit, et notamment le penchant respectif des enfants pour l'homme et le loup, rien ne vient gâcher la portée du propos ou les enjeux du récit, dont la fin - moment épique et accentué par la tempête qui fait rage - vient clore avec intensité cette belle leçon de vie. C'est mignon mais pas niais, touchant sans être mièvre, bien amenée et servi par une mise en scène qui impressionne tant par son élégance plastique que par l'éloquence de ses nombreux moments dénuées de paroles.

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Un émerveillement pour les yeux et les oreilles

Le film dispose d'un character design sobre, arrondi et totalement épuré (aucune ombre n'est présente). Il offre une galerie de personnage aux traits simples mais élégants qui évoluent - avec un contraste qui peut surprendre - dans des décors et paysages somptueux dessinés à la main, au réalisme saisissant, à l'instar de cette maison ancienne qui fait office d'élément central à l'histoire. L'animation, confiée au tout nouveau studio Chizo créé pour l'occasion, nous offre quant à elle une expérience formelle d'une rare beauté, dotée d'effets bluffants (la neige, les étoiles, la pluie) et parfois ponctuée par des moments de pure bravoure où l'osmose entre les dessins traditionnels et les techniques numériques modernes atteint des sommets rarement explorés. La course effrénée des enfants sur la neige en est l'exemple parfait : admirablement mise en scène, elle démarre sur un long travelling vibrant au rythme des pas des jeunes loups qui passent librement de leur forme humaine à leur forme animale. S'ensuit une vue subjective filant entre les arbres avant une longue glissade où la blancheur immaculée vient éclabousser le ciel azur - l'écran est ici scindé dans sa diagonale -, véritable extase à la conclusion épique : celle d'un feu d'artifice de plénitude où les cris se mêlent à la chute des corps dans cet océan laiteux, embrassant l'image souriante d'une famille réunie et heureuse en osmose avec la nature.

Il est difficile de résister à l'attrait des superlatifs tant la maîtrise visuelle est totale. Sa délicatesse apporte au récit une modestie irrésistible que vient sublimer la remarquable partition de Masakatsu Takagi. Omniprésente, la musique insuffle aux images une magie débordante, tantôt triste tantôt vivifiante, mais toujours avec une incroyable justesse dans le ton. La puissance émotionnelle qui en résulte - sans toutefois tomber dans l'élégie - inondera sans doute votre visage à plusieurs reprises. Dès les premières secondes du film, et ce, jusqu'à son émouvante conclusion, le verdict est sans appel : Les Enfants Loups, Ame & Yuki est un brillant exercice formelle, d'une infime délicatesse.

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On serait nous aussi tenté de modifier notre apparence en loup pour hurler notre bonheur devant la réussite de cette fable familiale, ode savoureuse et intelligente à la différence et aux rôles des parents, mené d'une main de maître par la sincérité de son auteur qui continue de prouver son savoir-faire, indépendamment de l'influence du studio Ghibli. On a rarement vu tant de poésie et ressenti autant d'émotion dans un récit initiatique mis en valeur par son trait élégant et ses grands moments de bravoures qui démontrent - s'il fallait encore le faire - toute la puissance de l'animation japonaise à lier fond et forme avec des personnages attachants. Mais nous garderons nos traits d'humain - en s'aidant du charme de Yuki - afin d'être en mesure d'esquisser un simple sourire ému, comme Hana, d'avoir vécu une si belle histoire :

« Omiyage mitsu, tako mitsu. »
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le 28 juin 2013

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le 28 juin 2013

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