Je tiens tout d'abord en guise d'introduction à ce pamphlet courtois à annoncer d'office à mon lecteur qu'il s'agit d'un très grand amoureux de toute la force, le déluge poétique du roman original qui lui parle. J'ai découvert et plongé dans Cocteau par ce formidable roman (dont je n'hésite pas à dire qu'il est l'oeuvre d'une des plus belles plumes qu'il m'aie été donné de lire); j'ai navigué Paul sur les flots d'une Virginie douée d'un nom de bille; j'ai connu et résumé la tristesse, la cruauté et le mensonge de l'enfance; j'ai souffert autant qu'Elisabeth de sa bêtise, bref, j'ai vécu ce livre comme on le lit.

Le problème est me direz-vous (et vous auriez ô combien raison) qu'il est toujours périlleux de tenter le diable en adaptant un roman (généralement il vaut mieux qu'il soit bon à la base mais je vous rassure cinéphiles imperméables au papier: il est merveilleux ce livre - l'ai-je déjà dit?). L'entreprise est d'autant plus hardue que si elle ne se résume pas à un simple projet lucratif ou à un titre honorable sur un curriculum vitae gonflé; il est surtout très dur en général de respecter la vision d'un auteur et plus loin encore la vision multipliée au nombre de lecteur de l'oeuvre en question. A ça, nous espérions beaucoup. Il s'agissait du deuxième essai de Jean-Pierre Melville sur un long métrage et la valeur scénaristiquement sûre des Enfants terribles lui confiait une mission de haute distinction (à laquelle l'auteur apporta son soutien) mais pas moins rude.

Certes, on se dit dans un premier temps, grand cinéma embrasse grande littérature, grand film en prévision sans doute et puis on entame lentement les premières minutes de bobine noire et blanche avec la découverte du visage apathique du Dargelos et là mes amis, premier choc d'une longue série (je ne vous cache plus la note, elle est trop basse). Dargelos, LE Dargelos, la terreur de l'école, cette icône de Paul, statue raide et crevante de mépris qui dit merde au directeur est UNE ado à la bouille grasse et au regard malade! Paul, notre Paul adoré est un étudiant bon aryen (vous me passerez le jeu de mots) qui à 25 ans couche toujours chez maman (je viens de me mettre la moitié de mes rares lecteurs à dos d'un coup) et qui a cette tête de mannequin effarouché par un Dargelos presque aussi insipide que lui. Porté par ce tandem de choc, entendez que le film démarre sur les chapeaux de roux (oui c'est une nouvelle expression)!

Mais expliquons tout de suite les choses, Edouard Dermit (notre Paul) n'est autre que l'amant de l'époque et plus tard le fils adoptif de Cocteau tout autant que le reste des acteurs a fréquenté au moins l'une de ses adaptations. Seulement, même si je n'ai strictement rien envers Dermit la grenouille et consorts, imaginez ceci: nous sommes en 1949, Dermit est né en 1925 et bon sang de bonsoir Paul est censé rôdé ses 16 ans!

Damnés soient ces réalisateurs qui pensent que maquiller un éphèbe de 25 balais en ado pubère peut tromper l'oeil du quidam! Damnés soient ces acteurs qui se croient revenus au temps de l'impressionisme allemand croyant véritablement la Chambre changée en une fastueuse scène de théâtre mondain! Damnées soient-ils à prétendre aux noms de Paul et Lizbeth! Mais pire encore mes aïeux... Oh si vous saviez combien cette dernière nouvelle m'accabla plus encore dans ma chute, elle portait un nom: Agathe. Si vous aviez lu les Enfants terribles, vous aviez une image d'une Agathe sensible mais d'une beauté sans égal dans l'Etoile et n'étant pas du genre à cracher sur le physique d'un histrion c'est toujours d'un oeil averti que je scrute l'acteur derrière son corps d'acteur. Hélas je ne puis retenir ma douleur quant au sacrifice fait en voyant cette pingre jouer la douce Agathe.

J'accorde au réalisateur son respect des décors et son rythme molasson. J'accorde à Melville sa restitution de la symbolique de la Chambre et des personnages mais JAMAIS je ne me permettrai de revoir ce crime perpétré en plein jour! J'espère seulement qu'un beau matin, rouvrant le coeur lourd ce testament de l'enfance de Cocteau, ne s'imprimeront pas en moi les visages indolents d'Edouard Dermit et Nicole Stephane. Alors j'ouvrirai moi aussi mon trésor et avalerai tout le poison contenu dans cette adaptation bâtarde et en creverait comme un malpropre.
Albion
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le 13 juin 2012

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Albion

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