Les Hommes le Dimanche est certainement le film le plus étonnant et le plus beau qu'il m'ait été donné de voir depuis fort longtemps.
Robert Siodmak qui est à l'origine du film, a dans sa première intention un projet de documentaire sur la vie quotidienne à Berlin. Fred Zinnemann, Kurt Siodmak et Billie Wilder se joindront à lui pour y intégrer la partie fiction.
Ce sont donc des réalisateurs de prestige qui s'attellent à la tâche.Ils font partie, faut-il encore le rappeler, d'une génération de cinéastes qui influença considérablement le 7° art et qui comme Fritz Lang ou encore Marlène Dietrich, émigra aux Etats-Unis dans les années 30.

Si le cinéma allemand de cette époque est surtout connu au travers de grands classiques comme ceux de Murnau ou Pabst avec souvent en toile de fond la misère sociale, « Menschen am Sonntag » contraste très fortement en évoquant la douceur et la joie de vivre d'une jeunesse insouciante et rieuse ayant définitivement tiré un trait sur les horreurs du passé.
Il s'inscrit dans le contexte des années folles (die goldene Zwanziger), une très courte période de prospérité et d'aisance économique entre 1924 et 1929.
C'est un film en rupture avec l'expressionnisme d'après-guerre qui fait partie, de l'avis des spécialistes, du renouveau cinématographique allemand du type néoréaliste, issu d'un courant plus large, la « Neue Sachlichkeit » (Nouvelle objectivité).
Si les cinéastes français de la Nouvelle Vague font souvent référence à ce courant, on peut en voir également des traces dans certains films de Wim Wenders.

Dès les tous premiers plans de la première séquence ont reconnaît d'emblée le paysage urbain si particulier de Berlin avec ses ponts de chemins de fer traversant la ville de part en part, ses larges avenues bordées d'arbres et bien sûr l'immense place du Bahnhof-Zoo.
C'est là qu'en ce samedi soir Wolfgang croise le regard de Cristl et décide, non sans hésitations, de l'aborder. Avec délicatesse, le cinéaste filme la scène dans un gros plan embrassant la grande place, préservant l'intimité du moment.
Un policier semble surveiller la scène : on n'importune pas ainsi les jeunes femmes dans la rue.
Après quelques mots, des regards timides et fuyants, Cristl accepte finalement d'aller boire un pot avec lui.
Le policier, rassurer, s'en retourne régler la circulation.

S'ensuit une séquence magnifique, où l'on voit le couple attablé à la terrasse d'un café, la caméra ne saisissant désormais plus que les regards, les sourires et les rires d'une complicité naissante, un instant suspendu dans le temps où même la ville semble tout d'un coup s'arrêter dans sa course folle.
Ils se donnent rendez-vous pour le lendemain. Comme des centaines d'autres berlinois tous les dimanches matin, ils iront se baigner au grand Lac de Wansee.

Ailleurs, dans le même quartier, Erwin, un ami de Wolfgang, rentre chez lui.
Erwin et Annie, ne forment plus de couple, ils vivent juste côte à côte. Ils n'échangent aucun regard, aucun mot. Leur relation est pesante, remplie de silence. Comme souvent ils se disputent et ne sortirons pas ce soir. Erwin accompagnera seul Wolfgang.

Fiction, documentaire, les deux ?
Je crois que ce sont les auteurs eux-même qui en apportent la réponse en le définissant comme « un film sans acteurs ».
D'ailleurs je trouve que la scène de dispute entre Erwin et Annie où ils finissent par déchirer les photos des stars du cinéma accrochées au mur constitue un clin d’œil amusant sur ce point (et peut être plus malicieusement encore au cinéma "du passé") tout comme le personnage d'Annie, qui est mannequin et qui préfère passer tout son dimanche au lit.

Je ne vous raconterai pas la journée du dimanche, bien que la tentation soit forte.
On est tout simplement ébloui par tant de grâce, par cette caméra saisissant à la fois la fugacité de l'instant, fragile et éphémère, et des purs moments d'éternité comme cette incroyable séquence de portraits où la caméra, tel un appareil photo, immortalise les visages d'anonymes.

Cristl et Brigitte son amie, sont filmées avec classe et élégance, les gros plans révélant leur grande beauté et l’expression ineffable de leurs visages, loin du jeu parfois excessivement théâtral des actrices professionnelles, et puis des plans plus larges laissant s'échapper des mouvements d'une grande sensualité.
Les moments longs et intimistes alternent avec des séquences plus rapides et rythmées dans un équilibre parfait

Bref, vous l'aurez compris, ce film d'une beauté artistique totale m'a subjugué et profondément touché.
Un cinéma que je ne connaissais pas encore et que je découvre à peine, car en farfouillant de gauche à droite pour dénicher des articles sur ce film, il se pourrait peut être bien qu'il existe encore d'autres perles, comme ce "Berlin, symphonie d'une grande ville" que j'ai vraiment hâte de voir.

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le 10 mars 2013

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DanielO

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