Ce qui frappe en premier lieu, ce sont des témoignages remarquables. La relation de confiance qui s'est nouée entre les intervenants et le réalisateur donne naissance à une parole libre, sincère, inattaquable. À l'heure où les propos les plus infâmes sortent du bois pour nourrir une homophobie qui ne s'assume même plus, celles et ceux qui parlent ici leur opposent dignité, enthousiasme et amour de la vie.

Ce sont des parcours de vie, des affirmations de soi, des manières uniques de se confronter à une différence que chacun(e) ressent dès le plus jeune âge. C'est aussi une force de se sentir marginal, donc libre, plus audacieux, plus militant, plus solide. En choisissant le cinémascope, Sébastien Lifshitz a voulu offrir à ces femmes et ces hommes la beauté qui leur revenait. Car il n'y a pas de haine ici, juste des cheminements quelquefois difficiles, des batailles, des guerres même, mais aucun ressentiment.

C'est toujours dans l'intime que le verbe se fait universel. Le temps dont on nous parle n'est plus le même, et pourtant, ceux qui se répandent aujourd'hui en invectives contre les homosexuels, sous prétexte de mariage pour tous, sont précisément ceux qui regrettent l'époque où l'homosexualité était une maladie, un délit, une perversion. Il a fallu du cran à ces femmes et ces hommes pour résister au poids phénoménal d'une société qui ne voulait rien savoir d'eux, qui refusait de les entendre et de les voir. Songeons alors à celles et ceux qui n'ont pas eu la force, la chance, ou le courage de dire "oui, je suis homosexuel(le)".

Elles sont belles, ils sont beaux. Tous nous parlent d'amour, de sexe, d'affirmation de soi. Tout évoquent également le sentiment de normalité qui fut le leur dès le départ. C'est en comprenant le fonctionnement de la société que l'on réalise qu'elle nous place en marge, le cheminement n'est pas inverse.

Film de destins croisés, de récits de vies, Les invisibles est aussi film historique. Se confirme alors la conviction que toutes les luttes se rejoignent. Entre celui qui est écarté du Parti Communiste, l'autre qui n'arrive pas à se libérer d'une éducation catholique, celles que l'on veut mettre à la porte de l'entreprise où elles travaillent, celle qui se sent emprisonnée dans un mariage programmé, le point commun est de se battre pour être accepté tel qu'on est. Pour les femmes et les hommes de mai 68, mais encore plus pour les femmes, cette guerre rejoint celle du féminisme et de la libération de la femme. C'est un autre temps, dirait la bourgeoise d'un ex locataire de l'Elysée. Qu'elle se taise.

Les invisibles n'est pas un film militant tel qu'on l'entend habituellement. Lifshitz préfère les histoires aux slogans, les témoignages sincères aux oriflammes. Il filme les intervenants avec affection et respect. Se livrant en toute confiance, ils apparaissent sans fard, drôles, profonds, poignants. Les invisibles est un film tendre et doux, un film qui fait du bien, un film d'amour.

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le 1 déc. 2012

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pierreAfeu

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