- Bonjour, je m'appelle Guy Ness, et je suis Malickien depuis... mon dieu, 13 ans déjà.
(la salle:)
- Bonjour Guy Ness
(Steven, parrain de Guy Ness, s'adressant à la foule:)
- Notre ami Guy est avec nous ce soir, même s'il n'est pas encore sorti de son addiction. Mais cela fait parti de son programme, il tient à y parvenir, et cette séance, ce soir, devrait l'aider à y parvenir.
(murmures dans la salle. Steven poursuit)
- Comment as-tu commencé à t'éprendre de Malickeries ?
- J'avais pas encore 30 ans. J'ai entendu parler de cette ..."ligne rouge", dont on m'ait dit que c'était un film de guerre pas comme les autres.
- Personne ne t'avais prévenu de l'aspect dangereux d'un film de Malick ? De sa nocivité ?
- Oh non ! Autour de moi, ce n'était à l'époque que des gens qui étaient avides d'expériences nouvelles ! Il fallait tout tester pour rester dans la bande. Je voulais pas passer pour un dégonflé...!
- Tu es donc devenu accro tout de suite...?
- Non ! Non ! Même pas ! En fait, ce film m'a fait une impression bizarre. Je n'avais ni adoré ni détesté. Mais j'avais trouvé des moments stupéfiants. Je suis ressorti de là avec la tête qui tournait. Je ne savais pas ce qui m'était arrivé.
- Sans le savoir, les germes de la maladie avaient fondé leur foyer dans ton organisme...
- Sans doute, sans doute ! Toujours est-il que je n'y suis jamais revenu depuis !
(murmures dans la salle, Guy Ness poursuit)
- et puis je n'y ai plus repensé, pendant des années. Et quand j'ai entendu parler du "nouveau monde" j'ai d'abord pensé à un canular. Ce scénario ridicule ! Mais j'avais de mauvaises lectures. J'ai entendu dire que Malick était un auteur adulé par beaucoup, que des extraits de ce nouveau film avaient déjà été vus et qu'ils étaient prodigieux. ... Et puis je me suis enfin intéressé à ce qu'il avait fait auparavant.
- Et c'est là qu'est née l'addiction.
- Pas tout à fait. "Les moissons du ciel" n'étaient plus disponibles à l'époque. Je me suis donc rabattu sur "la balade sauvage".
- Et c'est donc là...
- Pas encore ! Le film m'a beaucoup plu, c'est vrai ! Mais je n'ai pas encore senti d'effet euphorisant puissant à ce moment là. Ni de manque. Mais c'est sûr que ça m'avait plu. Mais autant que d'autres produits forts de l'époque...
- Comme ?
- Oh... Lynch, Jarmusch, Scorsese, Coppola, Kubrick, Burton, Capra, Coen, Gillian, Tarentino, Costa-Gavras, Tavernier, Mankiewicz, Herzog...
- Stop stop ! On a compris. Le terrain pouvait être favorable. Bref. Quand êtes-vous parvenu à ce stade d'addiction réelle ?
(une distance s'étant créée, oh, bien malgré lui, mais le résulta est là: Steven vouvoie maintenant l'ami Guy Ness)
- Ben, ce "nouveau monde", là, justement. J'ai été foudroyé par sa beauté. Sa force. Je... Je l'ai vu plusieurs fois.
(murmures importants)
- Vous n'aviez pas conscience de l'aspect factice de la chose ? De son côté facile ? Dans le sens creux...?
- Non ! Non, même encore aujourd'hui, ça me plait encore énormément. Je pourrai en parler des heures et...
(le coupant sèchement, et sortant un peu de son rôle)
- Ce n'est pas le sujet de ce soir. Mais vous le savez, il reste deux dérivés puissants du poison dont vous n'avez pas encore parlé.
- J'y viens. Le premier parce que je m'y suis adonné hier soir
- Silence dans la salle ! Laissez-le continuer !
- ...et le second car je compte sur lui pour mettre fin à ma dépendance.
- Commençons par hier soir. Mais sans trop de détails graveleux, s'il vous plait. Pourquoi s'y être mis si tard ?

- J'avais peur ! J'avais entendu déjà beaucoup de mal dessus. J'avais peur d'être déçu. et puis j'ai plongé. "Les moissons du ciel". C'est... magnifique. ... Non ?
(Steven semble un instant décontenancé. Il cherche un second souffle)
- C'est beau, je ne disconviens pas. Mais tu as bien conscience (cherchant sa force de persuasion et ses vieux réflexes revenir, il tutoie de nouveau) que la beauté n'est qu'un artifice ? Qui peut masquer la réalité morbide de son auteur ? Ou pire, cacher un vide immense ? Donner forme honnête à une prétention ou un prosélytisme honteux ?
- Oui, oui, bien sûr. Mais je ne trouve rien de tout ce que vous décrivez dans le Malikisme. Cette photographie parfaite ne sert qu'à mieux plonger immédiatement dans l'univers de l'auteur. A rendre tout ce que nous voyons à l'écran paradoxalement bien plus réel. On sent les choses. La nature, les animaux, les hommes. Leurs vies. Les enjeux. C'est... c'est bouleversant.
- Le côté fleur bleu, eau de rose de cette moisson ne te dérange pas ? Tout comme Pocahontas qui s'éprend de John Smith ? Tu n'es donc pas sevré de Walt Disney ?
- Je n'y vois absolument rien de tout ça ! Dans "les moissons du ciel", rien ne me parait de cet ordre. C'est justement le contraire ! On nous donne à voir la dureté des choses et de la vie, de ses choix, des décisions que nous devons prendre, sans aucun pathos. C'est très peu bavard... Comment vivent les saisonniers, ce qu'ils sont, les choix qu'ils sont amenés à faire.
- Oui mais....
- prenez la scène ou Bill attaque le fermier ! Rapide, sans artifice. Dépouillé. Peu de films aborderaient une scène aussi importante avec si peu...d'effets.
- les acteurs ! Sam Shepard et Richard Gere ! Ça vous a pas dégouté, des petites gueules d'ange comme ça, dans ce milieu sensé être si âpre...?
- Sam Shepard a toujours été un acteur qui m'a beaucoup plu. Bon, contrairement à Richard Gere...
- Ah ! Quand même !
- Oui mais là, ça passe comme une lettre à la poste (avant qu'on ne commence à...)
- Là n'est pas le sujet ! Un playboy dans les champs ? En 1916 ?
- Et pourquoi pas ? Les journaliers, encore jeunes, avaient bien le droit d'être beaux avant d'être abimés par la vie. Et c'est bien parce qu'il est comme ça que l'histoire existe, aussi, dans un sens.
- C'est sûr qu'avec Marty Feldman, c'était moins facile. Donc, rien n'à redire ou à reprocher à ce film ?
- Ben, je suis encore sous le charme. Les effets ne se sont pas encore dissipés. Je crois que je dois me rendre à l'évidence... (et, murmurant l'infamie:) J'aime Malik.
(la salle gronde. Steven est décontenancé).

- Vous êtes profondément croyant, Guy Ness ?
- Athée comme un manche de pioche ! Je n'ai jamais ressenti aucune saillie dans ce sens chez Malick. Juste, si photographier de manière prodigieuse la nature, les animaux et les hommes est un acte de prosélytisme, alors je me confesse.
- Vous avez bien entendu parler de son dernier méfait ?
- "The tree of Life" ? C'est justement pour ça qu'on m'a conseillé de venir ici ce soir. C'est par lui que je compte rompre avec le sortilège. Me défaire de ma maladie honteuse. J'e ai tellement entendu parler en mal, tellement lu de choses horribles que je me dis que c'est le moment ou jamais. Surtout si ça bave sur Dieu à longueur d'image.
(se faisant l'avocat du diable, Steven pousse son avantage nouveau, retrouvant une contenance devant la salle)
- Vous avez bien entendu qu'il avait reçu la palme d'or à Cannes ?
- Oh, on sait comment ça se passe la-bas.. Des gars qui se montent le bourichon, un snobisme intenable. Ils sont capables de récompenser n'importe quoi...
- Tout de même ! Je ne peux pas vous laisser dire...
- L'oncle Boomee ?
(silence dans la salle. Guy ness a marqué un point).
- Donc un "tree of life" et c'est terminé ?
- Juré ! Je vais tout faire pour. Je suis encore désolé. Cela dit, ce que j'ai vu de la bande-annonce m'a paru encore une fois très beau et...
- Mais vous faites tous les efforts pour vous en sortir, et c'est ça qui compte ! On applaudit l'ami Guy Ness, et souhaitons tous qu'il puisse bien vite nous rejoindre en tant que membre traditionnel ! Allélouiah !
- Allélouiah !
guyness

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