J'avais tout un tas de choses assez passionnantes à faire aujourd'hui pour préférer m'assoir devant n'importe quoi sauf devant la nécéssité de m'y mettre une bonne fois pour toutes (on ne réecrit pas l'histoire). A peine quelques minutes à errer dans les méandres du cyber espace pour retomber sur un extrait de Sedmikrasky, soigneusement mis de coté plusieurs mois auparavant, dans l'idée de retrouver sa trace. Perle rare de la nouvelle Vague Tchécoslovaque , ce film de Vera Chytilova sorti une année après Pierrot le fou, s'avèrait aussi introuvable en salle que sur internet. Banalement, ma troisième tentative fut la bonne. Et une fois de plus, Youtube s'est avéré l'allié imparable pour partir à la conquête du Saint Graal. Passant outre un doublage assez vicieux pour se superposer aux voix originales des comédiens, je me suis surprise à courir dans ce champs expérimental battu de fleurs sauvages.


Il y a tant à dire ! Et je ne suis pas rompue à ce genre d'exercice, tout neuf pour moi. De manière générale, je me contente de partager à qui voudra, en formulant à peu près ceci : "voilà ce qui me touche". Par autisme ou par pudeur -je n'irai pas trancher- je n'ai jamais réussi à me défaire de cette difficulté d'exprimer ce qui m'anime ; à restituer ce que je vois, ce que j'en comprend, quand bien même je me l'énonce clairement. Mais cet ovni ne m'a pas laissé le choix : il fallait que je partage.


On y retrouve deux très, très jeunes filles, qui partagent leur prénom (Marie), et la même rapport à l'absurdité mauvaise du monde avec laquelle elles décident un jour de rivaliser, "à la paix comme à la paix" (pour reprendre les mots de Christianne Rochefort). Les voilà qui cheminent en mauvaises filles le long des ravins. Et avec quelle grâce, quelle légèreté, quelle effronterie ! Bien qu'en film de la nouvelle vague qui se respecte, Chitilova y a codifié la mise en scène et raidi l'interprétation pour élever nos deux maries au rang de figures de fable. (Mais observez le jeu des seconds rôle et vous tenez votre parti pris). Il n'empêche qu'on jubile de ces deux innocences carnassières qui jouent aux vierges en endossant tous l'atirrail d'une putain rigolarde (la réciproque est toujours vraie), se défiant des hommes, des convenances, le tout dans un éclat de rire perpétuellement hystérique qui martèle le film à grand coups d'envolées fluettes.



Toujours est-il que si ce film s'inscrit dans l'ordre de l'expérience, il ne me semble pas relever de l'exercice. L'image cisèle une trame qui joue aux grandes décousues, à l'instar de ses protagonistes, et vient en parachever la cohérence : elle l'encadre et lui permet de prendre toute la mesure de son envol. Je pense, notamment, à ces montages expressifs à la Jan Svankmajer que j'affectionne tant, ces insertions de plans fixes au coeur du mouvement, qui viennent établir des ponts entre ses différentes unité de sens, et dont la charge symbolique s'assied toujours sur une force graphique terriblement efficace. La réalisatrice consomme un art aussi libre que sûr de lui-même, ce qui provoque chez le spectateur un état proche de l'ébriété extatique, jamais à l'abris d'une surprise supplémentaire qui viendrait l'emporter définitivement.


S'il n'a rien d'un exercice cinématographique d'écolier fiévreux planqué dans les buissons, le film n'en n'est pas non plus annecdotique. Il aborde cette époque charnières qu'est la jeunesse au temps des troubles, de la répression, dans l'ombre de la Grande Guerre et sous le spectre du communisme. Il va sans dire que le film a été censuré, la bas. Figurez vous. Ne vous fiez pas à ses faux airs de comédie légère. Soyez sages, faites moins de bruit.


Il faut dire les choses telles qu'elles sont, donc les dire simplement. Cette pelloche est un petit objet bizarre et fascinant, drôle et faussement désacordé. Il y a cette inquiétude vague qui erre silencieusement sous la légèreté des robes et qui vous prend joyeusement par la taille. Terrifiant. Il y a ce sérieux immense qui se déploie parmi l'insouciance la plus crasse, le sérieux de la marmaille qui joue à vivre.


Comme presque tout ce qui s'attache à notre sève primitive, Les petites marguerites sonne en grand éclat de rire tragique.

EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT.





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le 14 mars 2011

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