Deux décennies après Les Visiteurs et sa suite cartoonesque, la saga est réanimée pour un épisode ouvertement distinct. Le réalisateur Jean-Marie Poiré n'avait pas conclu de projets depuis Les Gaous (2004 – daube mirifique) où il intervenait en tant que producteur et scénariste. Le tandem Reno/Clavier est reformé mais tout le reste des personnages est nouveau, alors que les différences étaient mineures entre le premier opus et Les Couloirs du temps (nouveaux visages secondaires, rares métamorphoses dans le casting – mais une essentielle, Béa' changeant d'interprète). Comme convenu à la fin du second match (où surgissaient Jacquouillet et Bonaparte – on oubliera celui-là, trop grave), ce troisième tour se déroule pendant la Révolution française de 1789. Un tel contexte donne beaucoup à traiter, la situation politique au moment du tournage et de la sortie (où toute la classe politique met hystériquement en valeur ses valeurs 'républicaines' et achève de ridiculiser la notion) dope encore le potentiel. Sans surprise il est exploité sans grande ambition, la vocation de 'comédie de masse' excluant les provocations. Néanmoins le regard n'est pas neutre.


Pas d'information sérieuse ou de ré-information sur la place du peuple, la gestion des révolutionnaires et leurs intérêts profonds, mais une mise en exergue 'light' de la violence et du rouleau-compresseur « citoyen ». La nouvelle Ginette prend les biens des nobles pour en jouir ; son culte de la liberté est collectif dans les mots, individualiste dans les actes et même dans les objectifs déclarés. Les aristos (ou leurs corollaires) les plus 'ouverts' (donc féminisés, amoindris ou idiots) se laissent corrompre avec jubilation (Dubosc le député se taille une vie de ''libertin''). Au sein de chaque classe, le fric et l'avancement personnel régulent TOUT. Les leaders de la Révolution sont des brutaux, leur garde idem. Un peu d'idéal leur est accordé, mais ce sont surtout des profiteurs. La sœur de Robespierre (par Testud) est la seule activiste passionnée et sincère tout à fait 'blanchie', autoritarisme mis à part. Elle plaide pour le peuple et les lois de la République, tient à éviter la violence, incarne le soft power et la générosité avec un côté condescendant et guindé. Sa fibre compassionnelle reste assez fine et véridique. Pour le reste le film présente les vigiles des bourgeois d'avant-garde comme des voleurs pleins de ressentiment ; l'élite éclairée du nouvel ordre républicain n'est pas humiliée mais apparaît sinistre. Robespierre ressemble à un crapaud psycho-rigide, une espèce d'intellectuel dominateur corrigé avec [un filtre d']une mesquinerie sanguine ; c'est le visionnaire rabaissé par la réalité sensorielle. Avec Marat cela donne deux héros (Montagnards) de la Terreur dégoulinant de suffisance et enfermés dans des corps moisis, voire maudits. Ce manque de prestance est significatif, car ces figures ne sont pas simplement tourmentées ou entravées par des barrières ponctuelles ; elles suintent le dysfonctionnement, pour ne pas dire la dégénérescence et les marques d'une corruption fondamentale (spirituelle?). Cette purulence 'viscérale' concerne évidemment la ligne du pouilleux interprété par (le multi-)Clavier : Jacqouillet est le boulet du club, rabaissé par la présence de Jacqouille. Les révolutionnaires peuvent proclamer ce qu'ils veulent, eux aussi voient bien les vérités naturelles : le discernement est plus fort que les décrets, la vérité survit aux 'mauvais' principes acquis (et l'intelligence même corrompue l'admet).


Sauf à cet endroit où l'héritage se ressent clairement, les résidus de mysticisme 'réac' sont évacués. Le second happening avait déjà laissé de côté l'emphase venue des profondeurs (sans l'attaquer) ; maintenant l'heure est plutôt au cynisme. Dans ces Visiteurs 3 tout le monde est avilit et les mythes prennent un coup, sans que ce soit polémique ou féroce ; simplement la médiocrité est maîtresse, avec sa sœur l'avidité joyeuse ; le destin des Hommes (français en tout cas) et du film se rejoignent. Poiré et le tandem emblématique essaient de s'inscrire dans l'air du temps en libérant leurs vieilles énergies. Ils semblent conscients qu'un âge d'or est passé et qu'il ne s'agit là que d'une prolongation, à jouer comme une comédie 'blanche' d'aujourd'hui, où il s'agit de se faire plaisir en étant efficace, sans regarder vers le passé ni chanter les vertus du futur. Les acteurs apparaissent dépassés mais pas éreintés ; ils ont la fougue des blasés et des repus profitant d'avoir un peu de vie en stock pour verser dans l'enthousiasme. Aux côtés des vieux hors du coup mais dévoués circulent des valeurs installées (comme Karin Viard, à l'aise au point de devenir un atout), des nouveaux nullards. Ceux-là cherchent à entrer dans la 'grande famille' du cinéma populaire par le 'haut' du panier, c'est-à-dire le classique, fut-il paillard (c'est déjà mieux que la beauferie aseptisée ou adolescente). La promotion et surtout le casting (plein de lourdauds et druckeriens d'élite à envergure 'basse') suggéraient une reprise de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu, le précédent plébiscite 'comique'. Finalement le film a sa semi-identité propre, les transfuges de cet horrible succès s'avèrent insignifiants, pour le meilleur (le juif est convaincant en aristo lâche – Lorenzo, marquis) et pour le pire (le black évanescent malgré son agressivité, tuant sa mission anti-raciste en une saillie pourrie).


La mise en scène est posée, à cause de ce même mélange d'hystérie artificielle et d'assertivité penaude. Les contre-plongées ou plans d'ensemble inadéquats sont fréquents, avec pour effet d'expulser le potentiel physique des effets 'humoristiques'. La vertu de cette tare est d'éloigner discrètement Jean Reno, plus du tout à la hauteur pour incarner le seigneur de Montmirail (alors que Clavier est bien éveillé pour un rôle où le déclin physique aurait été recevable). Plus écrasé qu'entamé, il traverse ce film sans sacrifier ni ré-affirmer son prestige, avec l'air d'un ex-badass rincé. L'autre marqueur objectif et évident [après le casting et les atours 'Vivement dimanche'] de ce troisième/quatrième opus concerne les voyages dans le temps, dont on abusait allègrement dans le 2e volet. Exit les allers-retours (sauf pour l'épilogue), les protagonistes ne vont plus dans le présent ; alors celui-ci s'amène dans le passé, où il sape tout sauf les apparences et le mobilier. Les anachronismes sont fréquents en matière de gadgets et surtout d'attitudes (toujours au service du gag, ainsi pour la perruque de Viard). Jacquouille est particulièrement affecté avec son phrasé 'djeunz' et ordurier « incommodant » comme le dit Montmirail. Il l'aura choppé en vol dans les couloirs du temps (on l'aura zappé à la fin du 2) en même temps que son vieillissement accéléré (sur ce point le film peut formuler une excuse même si elle est grotesque). Paradoxalement son registre (« c'est cool », « le temps des bagnoles ») sonne désuet, plus proche d'un présent aéré sous 'Retour vers le futur' que tributaire des années 2010, quoiqu'en phase avec l'idée de la juvénilité triomphante des croûtons de la comédie française (tels qu'ils s'affichent dans leurs films).


Les concepteurs ont eu l'intelligence de déballer le jeu et montrer le pire dès le départ. Au lancement on affiche la volonté de 'casser la baraque' pour appâter en restant pédagogues, puis s'installe un rythme, tranquille au fond car sans remises en question. Les quatre premières minutes consistent à faire écho au passé avec des mouvements brutaux, des citations paresseuses (même musique d'ouverture que pour le 2) et des prises de vue absurdes, puis tout le premier quart du film sera en mode zapping avec un faux alignement sur le 2 (à part pour les raccords bizarres, le style est discordant). L'action passe d'un espace à l'autre constamment, l'humour se résume à des cohortes de gerbes en mode 'putain chier' et à des postures vocales obèses ('je prends une voix rigolote et nasillarde', 'je parle comme un exalté parce que je suis un fifou de la haute'). Puis ces rodomontades s'estompent, le film s'autonomise par rapport à ses prédécesseurs et dégaine quelques morceaux pittoresques mais quelconques, le long d'un sentier balisé mais pas dépourvu des charmes du random et de l'irresponsabilité sous garanties. C'est décevant comme convenu par rapport aux opus initiaux (l'ensemble des gens estimeront : par rapport à l'original), en se laissant suivre sans trop heurter. Des efforts intenses sont consentis et à défaut de décollage il y aura au moins un remplissage ininterrompu pour tenir le spectateur. Les acteurs et l'écriture sont ultra lourds pour compenser le manque d'inspiration (surtout de suite 'dans les idées' et de consistance) et l'empâtement, ce qui crée un climat tamisé mais criard, épuré bien que vulgaire : un équilibre laid et limpide, ronronnant paisiblement, parfait pour somnoler les yeux grands ouverts.


Les 'éclats' sont stériles et pas très flamboyants : les Jacquouille et Montmirail déformés suite au passage chez la doc ne rentreront pas dans les annales qu'elles visent probablement sans se faire d'illusions (en plus de sous-exploiter la pression et les réactions liée à cet ultimatum se lisant sur leurs visages). Jacquouille y arbore un goitre en forme de burnes, ou « cou de vache » ; l'humour de cette Révolution étant très axé sur les odeurs décalées, ne pas le renvoyer à la merdasse apporte un peu de fraîcheur par omission. Victime plus significative, Montmirail a le nez grossi comme un gnome paysan grivois : voilà l'homme de sang bleu (même si la dégaine est rance et sent le Roquefort) dégénérant dans la grossièreté et l'aigreur 'manifeste'. Une énième répétition générale referme la séance. Sur environ dix minutes s'opère le seul retour à un autre temps, donc au futur, avec tous les running-gag de mise ; on se raccroche aux deux premiers opus et rabaisse alors ce qu'ils ont construits. La seule innovation pendant ce tunnel est la venue de l'enchanteur avec le duo médiéval : inutile et laide, elle dénote avec les magiciens passés et ne fait qu'anéantir leur fonction. La descendante d'Eusaebius, genre de Lady Gaga récupérant une liturgie obscure, avait commencé le travail -navrant- avec un panache dégueulasse. Cette petite période ne génère aucune tension et crache des enjeux nabots, joue la pseudo-expectative totale s'agissant des événements immédiats et de la chronologie à venir ; il n'y a à en retenir qu'un clin-d’œil au premier opus (on aperçoit le petit Jacquard et 'épaissit' son dossier de nouveau riche vicieux). Poiré laisse ouverte la saga (au moins pour la pose), mais tire sa révérence à titre personnel. En repassant dans un lieu phare de la franchise (le château des Montmirail!) il la souille in extremis, quoique toujours mollement.


À l'heure du bilan on peut en profiter pour revaloriser les deux précédents héritiers des Visiteurs de 1993. Les Visiteurs en Amérique est meilleur que l'opus présent. Il reprenait le mythe dans son ensemble avec une conversion spéciale US ; ici, nous avons une version dégénérée locale, un revival désuet sans être choquant (sauf espoirs insensés ou crispation). Cette Révolution reste un effondrement par rapport aux 1 et 2, mais il était inévitable et même tacitement reconnu vu l'affiliation déclarée aux grasses modes. Cette livraison s'avère un film poubelle, un détritus décent ; un produit de trop sans être en mesure de saboter son domaine (trop passif et dévoyé pour en arriver là). Il ne cassera pas les souvenirs positifs du 1 et 2, même s'il peut ruiner les a-priori à leur égard pour les nouveaux spectateurs.


https://zogarok.wordpress.com/2016/08/21/les-visiteurs-la-revolution/

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le 19 août 2016

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