Nicolas Winding Refn arrive devant le bureau de Ryan Gosling, réajuste ses petites lunettes, frappe à la porte et n'attend pas qu'on l'y invite pour entrer. Il découvre Ryan, assis en tailleur sur son bureau, entrain de méditer.


Nicolas Winding Refn : Heeeey Ryaaaaaaaaan ! Comment tu vas fiston ?!


Ryan Gosling sort de sa transe intérieure et ouvre des yeux qui s'illuminent de joie à la vue de son Mentor.


Ryan Gosling : Papaaaaaaa !!


NWR : M'appelle pas comme ça, Fils. Tu sais pourtant que je déteste ça...


RG : Désolé pap'...


NWR : Humm...Bon, Mon Grand, tu sais que je suis toujours dispo pour toi et au téléphone tu semblais insister pour qu'on se voit alors explique-moi pourquoi je suis là au lieu de créer de l'art cinématographique pour un public à l'esprit ouvert et un peu dérangé ?


Ryan bondit du bureau, se rétablit avec grâce et s'empare d'un épais dossier relié qu'il s'empresse de tendre à celui qu'il n'a pas le droit d'appeler Papa.


RG : Tiens ! C'est le script de mon tout premier film ! Je voulais que tu sois le premier à le lire !!


NWR : Ohhh c'est trop gentil ça mon Petit Ryan ! Ca me touche beaucoup !


Nicolas Winding Refn essaie de s'asseoir confortablement dans l'une des chaises à bascule zen du bureau de son Protégé et entame sa lecture.


RG : En fait, c'est un drame contemporain à propos du rêve américain brisé. J'ai choisi Détroit comme cadre car les quartiers abandonnés renvoyaient parfaitement les sentiments de désolation et de détresse que je...


NWR : Ouais, Ouais, j'm'en fous !


Nicolas Winding Refn termine la 2e page du script, et se met à feuilleter le manuscrit à la volée avant de lever vers Ryan un regard lourd de sens.


NWR : Tu te fous de ma gueule ?


Ryan Gosling se liquéfie sur place.


NWR : Explique-moi qu'est-ce que c'est que ça ?! Hein ? Putain non mais explique-moi ce que c'est ! CA là, oui ! CA !


RG : Bah...euh...des dialogues...


NWR : Des QUOI ? Non mais putain t'es sérieux là ? Tu t'es cru dans un Tarantino ou quoi ?


RG : Mais P'pa c'est...


NWR : NE M'APPELLE PAS PAPA ! Soit Nico soit Mr Winnie mais PAS Papa !


RG : ...sniff...


NWR : Bon, restons calme. Il y a forcément une explication. Je te connais comme si je t'avais fait, d'ailleurs c'est moi qui t'ai fait, donc je suis sûr que tu vas corriger le tir...


Nicolas Winding Refn reprend donc sa lecture. Une demie heure passe dans un silence tendu seulement troublé par les raclements de gorge du réalisateur danois irrité d'avoir à lire des dialogues pour comprendre l'histoire et le clapotis des gouttes de sueur du blondinet qui n'en finit plus de créer des flaques à ses pieds. Arrivé à la moitié du script, le réalisateur de Drive repose le document et s'éclaircit la voix.


NWR : Ryan.., Ryan..., Ryan...Par où commencer ? Bon, déjà je suis rassuré sur un point; ton personnage principal n'est pas très volubile et ça c'est une bonne chose. C'est qui l'interprète ?


Ryan Gosling, qui vient de perdre 3L d'eau, lui tend un portfolio du casting.


RG : Iain De Caestecker, un petit jeune. Tu trouves pas qu'il me ressemble un peu ? Blond, distant, un peu effacé, pas bavard, qui marche en solitaire et cherche l'introspection et...


NWR : Ouais, ouais, ouais. Ah tiens, la brute qui vampirise la bourgade c'est Matt Smith ! C'est un des Docteurs de Doctor Who, non ? Rahh qu'est-ce que j'aimerais réaliser des épisodes pour cette série ! L'espace infini, des créature bizarres, le droit de mettre en scène absolument n'importe quoi sans passer pour un allumé du bulbe...Mouarf. Ah ? Je vois aussi que le chauffeur de taxi qui semble si gentil est interprété par Reda Kateb, l'acteur français qui a percé grâce à Un Prophète...et je note aussi la présence de ta femme, Eva Mendes, en guise d'atout glamour et de Christina Hendricks avec qui tu jouais dans The Place Beyond the Pines. Il n'y a pas à dire, c'est un bien joli casting que tu as réuni ici !


RG : Merci P'p...euh...j'veux dire Monsieur Nico..mince, Papa L'ourson...arggghhh...


NWR : Tsssss....Bon mon Grand, je constate aussi que tu prévois pas mal de scènes caméra à l'épaule. Surtout lorsque tu filmeras ta doublure déambulant dans les buildings en ruines à la recherche de cuivre à revendre. Tu es sûr d'être capable de filmer de la sorte ? Tu préfères pas de bons vieux plans fixes comme je t'ai appris à faire ?


RG : Nope ! T'inquiète ! Et puis si jamais je suis trop excité à l'idée de tourner les séquences de mon premier film et que la caméra tremble, ça renforcera l'immersion du spectateur dans un univers où tout fout le camp !


NWR : ...


RG : ...N'oublie pas que c'est tout de même ma première réalisation, j'ai le droit de me rater sur quelques points. Je suis sûr que le public saura se montrer indulgent !


NWR : ...


RG : ...Mais rassure-toi. J'ai bien appris à tes cotés ! J'ai prévu de nombreux plans contemplatifs magnifiés par de somptueux couchers de soleil et des éclairages chiadés sous la houlette de Benoit Debie, le directeur de la photographie qui bosse souvent ave Gaspard Noé et...


NWR : Ah ouais c'est un bon lui ! Son talent plus le génie que je t'ai insufflé pour l'esthétisme soigné, ça ne peut que rendre bien à l'écran ! Mais, Junior, il y a tout de même quelque chose qui me chagrine : je trouve ton histoire assez chiante. Si je me réfère au synopsis de ton bébé je lis " Billy est une mère célibataire. Elle habite avec ses deux enfants dans une ville proche de l'évanescence. Bones, l'un de ses fils, trouve un passage pour se rendre dans un monde fantastique, sombre et inquiétant, dont la route secrète mène à une mystérieuse ville sous-marine... Cette découverte scellera le destin de Billy et des siens, confrontés à de graves dangers " or arrivé à plus de la moitié du script, je n'ai pas encore vu l'ombre d'une licorne ou d'un monde fantasmagorique ?


Ryan se met alors à sautiller sur place.


RG : Lis la suite, lis la suite, lis la suite ! J'suis sûr que tu vas aimer ! J'suis sûr que tu vas aimer !


Mr Winnie reprend alors sa lecture et, pour la plus grande fierté du réalisateur débutant et mono expressif, se met à pousser de petits gémissements indiquant un plaisir non feint.


NWR : Bordel ! Oh Oui oui oui !!! C'est bon ça Ryan ! C'est même excellent ! Il y a même un karaoké comme dans Only God Forgives !! Et OOOOOHHHH OUI un couloir !! Tu as même pensé aux plans fixes dans un couloir aux teintes chromées et fluorescentes ! Tu sais que j'aime les couloirs et leur symbolique, hein ?! AAAAHHHH et cette violence ! Toute cette violence malsaine ! Et ce sentiment de malaise qui doit poindre devant ces scènes de sadisme gratuit ! C'est glauque Ryan ! C'est BON CA Ryan ! Tu sais à quel point j'aime la violence sous ses expressions les plus pures et là t'es en plein dedans ! Ca m'a l'air grandiose !


Ryan ronronne tel un chat devant l'expression de satisfaction de son père spirituel.


RG : Surtout que les effets spéciaux seront réussis et les scènes orientées sado bénéficieront d'un travail minutieux pour créer un exquis malaise chez les spectateurs les plus sensibles. Sur la fin j'ai décidé de me lâcher ! Je n'en pouvais plus de me contenir avec une histoire certes intéressante mais trop terre à terre. J'ai tout lâché Papounet ! Les allégories vers l'enfer, la pénitence, la rédemption, la renaissance par la mort, l'expiation des vices qui sclérosent et hantent les personnages, le pays et l'Homme en général ! J'ai conjugué explications sous-jacentes, métaphores, visuel inspiré et une réelle tension pour tous les protagonistes. Je sens que je vais vraiment m'éclater à tourner ça !


NWR : Ah profite mon Fils ! C'est pour des moments comme ça qu'on fait ce métier. Mais malgré tout je trouve ton synopsis un peu bancal pour ne pas dire un peu mensonger. Regarde, quand j'ai réalisé Valhala Rising - Le Guerrier Silencieux, je ne me suis pas foutu de la gueule des gens. Ceux qui ont trouvé le film chiant et peu bavard n'avaient qu'à lire le titre, c'était marqué dessus, comme sur le Port-Salut ! Pareil avec Drive ! Tu te rappelles, t'étais dedans. On parlait bien d'un chauffeur. Il n'y avait pas tromperie sur la marchandise. Là, Lost River, monde fantastique...c'est un peu alambiqué mon Biquet. Tu devrais indiquer que la rivière n'est qu'une allégorie...


RG : Nan, nan, nan je le sens bien comme ça. Et puis tu verras qu'avec la B.O. qu'on va me concocter, ça passera tout seul. Ce sera éclectique, avec du guttural oppressant, du mélancolique symphonique, du rock acoustique, de l'électro désincarnée; tu vas adorer. Et je suis sûr que la bande sonore aidera les spectateurs à plonger dans la rivière de mon inspiration.


NWR : Ok mon Poulet, j'y prêterai une oreille lorsque la B.O. sera en ligne, sur Youtube, par exemple. Bon bah je pense qu'on a fini....


RG : Atta-atta-attend ! Je voudrais ton avis sur la conclusion du film. Tu n'as pas été jusqu'au bout du script ! Qu'est-ce que tu en penses ?


NWR : Non mais je ne la lirai pas. Je te fais confiance. Tu as choisi quoi ? Une fin un peu abrupte qui laisse le spectateur entre deux eaux ? Qui l'interpelle ?


RG : Ouais, quelque chose dans le genre...Mais j'ai peur que ce soit mal perçu...


NWR : Non ! Non ! Non ! C'est ton film ! Et n'oublie pas que nous sommes des artistes ! Si les gens sont partagés par ta fin, ou a fortiori ton film, alors c'est qu'elle, et donc il, sont bons. L'art divise. Et si les gens ne comprennent pas cela, c'est qu'ils ne sont pas dignes de nos oeuvres !


RG : Euh...tu crois ?


NWR : Eh, t'as vu ma filmographie ou pas ? Je sais ce que je dis. Soit on m'aime, soit on me déteste. Et il en sera de même pour toi Ryan.


Malgré l'amour qu'il porte à Nico "papa" Winnie Refn, Ryan n'est pas rassuré car il a encore en mémoire les sifflets qui ont accueilli Only God Forgives lors de sa présentation à Cannes. Mais le réalisateur danois semble être fier de lui, et, au fond, c'est tout ce qui lui importe.


NWR : Ce script m'a l'air prometteur mon Petit. Tu as vraiment été à bonne école et je m'en félicite. Visiblement tu as essayé d'apporter ta patte mais elle semble manquer encore d'assurance. Ne t'en fais pas, ça viendra ! En tout cas samedi prochain on passe un petit week-end en Famille et tu es bien entendu attendu. Et puis ça fait longtemps qu'on a pas péché tous les trois avec ton Frère !


RG : Hum ? On ne sera pas que tous les deux ?


NWR : Non, il y aura aussi ton ainé, Mads Mikkelsen. En plus il adore pêcher le saumon et il ne manquerait ça pour rien au monde. Tu seras là, hein ?


RG : Bien sûr...Père.


NWR : Hum...Allez, Au r'voir dans l'couloir !


Nicolas Winding Refn quitta le bureau de Ryan Gosling, satisfait de voir que l'oiseau quittait le nid et dans la bonne direction. Après tout, la pomme ne tombe jamais bien loin du pommier...

MarlBourreau
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes J'ai (un peu ?) honte des titres de ces critiques... et Les meilleurs films de 2015

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le 16 juil. 2015

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MarlBourreau

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