C’est ce qu’on appelle un retour de hype. Pour faire court, quand Ryan Gosling vient présenter Lost river à Cannes en 2014, son film se fait pas mal laminer. Gosling on l’aime bien, il est beau gosse, il est sympa, il est cool, il est bon acteur, mais faut pas pousser. Avoir trop de succès, ça fait des envieuses, ça fait des jalouses, et Cannes n’est jamais tendre avec ceux qui y croient ou qui se la jouent. Les critiques ne le ratent pas, y vont fortissimo et insistent surtout sur le côté débilo-naïf de la chose et les trop nombreuses références qui dépossèdent son joujou. Gosling repart, remonte le film et le présente aujourd’hui dans une nouvelle version qui fait son buzz, attendue, espérée, redoutée.


Les références donc, pour évacuer de suite ce point sur lequel beaucoup semblent avoir bloqué, bêtement. Elles y sont évidemment présentes : David Lynch (Sailor et Lula en particulier), Nicolas Winding Refn et Gaspar Noé bien sûr (dont il a piqué le directeur photo, Benoît Debie, qui signe là encore un travail remarquable sur la lumière et les ambiances), et puis La nuit du chasseur aussi, Jodorowsky, Cronenberg, Araki… Elles y sont flagrantes, imposantes oui, mais pas si oppressantes qu’on a bien voulu le brailler parce que Gosling ne s’en sert pas uniquement comme de simples gimmicks visuels pour épater la galerie ou se faire plaisir, mais comme une véritable inspiration à sa créativité cinématographique exhalant la fièvre et l’amour du cinéma (de genre, avec la grande Barbara Steele en icône mère) avec cette maladresse, touchante, des premières fois.


Au-delà de ses emprunts et de ses modèles, Lost river parle d’abord du rêve américain en miettes, désossé, assujetti à la barbarie du monde, à l’argent, au sexe, aux désirs bruts, aux passions violentes, rêve ondulant, chavirant au bad trip nocturne où l’on coupe les lèvres et se déchire la peau. Dans les banlieues fantômes de Detroit, abandonnées là aux mauvais sorts, Gosling livre une œuvre fantasque et noire pleine d’une poésie bizarre exprimant d’abord la sensation pure, l’onirisme immédiat. Poésie de ces maisons dévorées par le feu, de ces visions incroyables, lampadaires surgissant de l’eau, caisson SM pour expérience flippante, monstre au fond de l’eau, grand méchant loup, ville engloutie, cabaret baroque et macabre dont la façade en forme de gueule démoniaque ressuscite le célèbre Café de l’enfer à Pigalle…


Lost river a du mal à s’enclencher, à organiser au mieux sa mise en place, et c’est quand il ose basculer, enfin, dans ses propres gouffres qu’il envoûte comme envoûterait un sortilège soudain (superbe musique électro-mélancolique de Johnny Jewel et Chromatics), révélant l’atmosphère irréelle d’un conte de fées psychotique où les personnages s’appellent Bones, Bully, Rat, Face ou Belladonna, et luttant chacun, à leur façon, contre le néant qui les guette. Le film donne l’impression d’être foutraque, jamais construit, trop bouffé par ses influences, mais paraît en même temps ultra maîtrisé, tenu jusqu’au bout dans ses dimensions imaginaires, hallucinées, hyper personnel, intime jusqu’à la moelle, cette moelle goslingienne que l’on s’arracherait, mesdames, et que l’on goûte ici.


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le 8 avr. 2015

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