Louise Brooks, tempérament unique dans l'histoire du cinéma, dans l'histoire de la photographie, dans l'histoire capillaire aussi, dans l'histoire féministe, même dans l'histoire de la bande dessinée, dans tout ce que vous voulez en fait.

A 22 ans, Louise marque les esprits dans Une femme dans chaque port, de Hawks, elle poursuit sa carrière avec le superbe Mendiants de la vie de Wellman, jolie petit bout de femme pornographique habillé en tramp en décors naturels, puis, snobant superbement un parlant qui ne le lui pardonnera jamais, elle s'enfuit l'année suivante en Europe tourner trois petits chef d'œuvres dont deux muets pour Pabst...

Loulou.

Au tournant du vingtième siècle, Frank Wedekind écrivit plusieurs pièces qui firent scandale et ne purent sortir en Allemagne : La boîte de Pandore en fait partie, et c'est elle qui fait semblant de donner sa trame au film de Pabst.

Dans ce film, Loulou, est une jeune femme entretenue qui traverse légèrement un monde qui la dépasse et qui ne fait pourtant que tourner autour de son hallucinante beauté. Créée par les dieux pour se venger des hommes, destructrice malgré elle, victime de la lubricité des mâles, Loulou sembla avoir ouvert par inadvertance la fameuse boîte qui contient tous les maux de l'humanité.

Pandore, Loulou, la première femme, la seule qui compte finalement. Et Pabst essaie de nous faire croire que son histoire tragique, admirablement filmée, existe en elle-même.

Mais en fait, non.

Loulou, c'est Louise Brooks, comme Louise Brooks est Loulou, inutile de chercher quoi que ce soit de rationnel derrière ça, inutile de songer une seconde que ce film un peu perdu au milieu de l'arrivée du parlant aurait pu survivre à nos yeux sans le visage hallucinant de la plus belle femme du monde qui éclabousse chacun de ses plans de sa photogénie inimitable.

Créer du mythe à chaque mouvement de cils, fabriquer les plus belles images du monde simplement en habitant le plan plus intensément que nulle part ailleurs. Bouleverser à ce point les personnages et le public des deux sexes dans une atmosphère sensuelle à la fois légère et tellement tendue qu'il faudrait la couper à la machette.

Louise, victime dès l'enfance de sa beauté et des hommes est Loulou comme personne ne pourrait l'être. Loulou entretenue deviendra un jour Louise, abandonnée du cinéma, accueillie par l'alcool, vivant aux crochets d'hommes presque aussi vilains que ce gros cochon de docteur qui enlaidit le film.

Louise dont la verve incroyable et l'intelligence unique parviendra à la sauver in extremis, dans l'écriture, histoire de rajouter une couche de plus à ce personnage de légende, victime d'un visage inoubliable.

D'une certaine manière, Loulou n'est pas un film, il ne faudrait pas en tout cas n'y voir que cela, Loulou, c'est la preuve qu'il y a des personnalités plus fortes que la réalité, que l'on peut côtoyer à la fois Jack l'éventreur et Corto Maltese, la plus grande gloire et la dernière déchéance, mais le tout de façon unique, indémodable, inégalable, avec le plus beau sourire de l'humanité esquissé sous le regard le plus triste du paradis.



(Et quand je pense à ce bon vieux Scritch qui n'a toujours pas daigné goûter à ce genre de phénomène, j'en viens parfois à me demander ce qu'il peut bien faire entre les repas...)
Torpenn
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le 12 juil. 2012

Modifiée

le 5 août 2012

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Torpenn

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