une légèreté qui fait beaucoup de bien dans le cinéma américain

Steven Soderbergh est parfois traité de faiseur ; un cinéaste qui ferait des films sans chercher l’homogénéité d’une œuvre.

C’est tout le contraire : Soderbergh est quelqu’un qui tente, un expérimentateur : capable du classicisme télé le plus ennuyeux dans Ma Vie avec Liberace, grand expérimentateur dans Solaris ou Girlfriend Experience.

Ici, pas d’innovation extraordinaire, juste quelques bonnes idées de cadrage, et un joli travail sur les couleurs : jaune-rouge-bleu. On est à Tampa, en Floride, et il fait chaud : ceci expliquant cela. Mais plutôt une originalité globale qui donne un coup de frais dans le cinéma US actuel.

Depuis toujours, Soderbergh est un cinéaste engagé, du style qu’apprécie le plus le Professore : discrète. La lutte contre la drogue (Traffic), la montée du Terrorisme (Syriana, qu’il a seulement produit mais dont la patte est toute soderberghienne), le capitalisme pollueur (Erin Brockovich) : chacun de ces thèmes a toujours été traité avec beaucoup de finesse et de distance.

Ici, l’auteur de Sexe Mensonges et Vidéo ne s’attaque à rien de moins que la crise de l’Amérique, habilement camouflée, mesdames, sous un film de chippendale. Oui, vous avez bien lu. Karl Marx meets The Full Monty. Habituellement, on reproche au cinéma d’action, au jeu vidéo, aux clips, une utilisation dégradante du corps de la femme. Magic Mike propose un pendant féminin : des corps de beaux mecs musclés, et c’est tout aussi dégradant, tout aussi putassier, et ça marche évidemment. Qui n’a pas envie de voir Channing Tatum à poil ? tapez dans Google, vous comprendrez pourquoi. Ou même Alex Pettyfer, l’acteur qui joue le Kid, un gamin qui cherche du travail, et qui en trouve, au black, dans le bâtiment. Première indication : on n’avait pas filmé des ouvriers exploités et des patrons tricheurs comme ça depuis les années 70, Cinq Pièces Faciles par exemple, de Bob Rafelson. Dans cette Amérique qui se délite, on triche sur les impôts, on paie les gens au noir, et on menace de les virer à la moindre incartade. Et pour grimper dans l’échelle sociale, on fait trois boulots à la fois : couvreur, décorateur d’intérieur et… Chippendale. C’est là que le Kid rencontre un autre ouvrier, beau, fort, musclé et sûr de lui : Magic Mike (Channing Tatum). Mike est chippendale la nuit dans le club de Dallas (extraordinaire performance de Matthew McConaughey) et lui propose d’arrondir ses fins de mois en participant au spectacle.

L’originalité de Magic Mike, le film, c’est de magnifier ces danses érotiques tout en suscitant un léger dégoût : au début c’est sympathique, mais paradoxalement, c’est à l’arrivée, après la première demi-heure du film, du personnage féminin (Brooke, la sœur du Kid) que le film bascule. Brooke est inquiète pour son frère, elle ne veut pas qu’il fasse ce job, il a déjà lâché un boulot prometteur. Magic Mike promet de le protéger, mais…

La moue boudeuse de Brooke (Cody Horn, à qui le Professore promet une belle carrière dans le cinéma) nous fait brusquement changer d’avis : ces danses, même dans le regard d’une femme ne sont que l’exploitation des corps, et ces chippendales ne valent pas mieux que des stripteaseuses. Ce n’est pas moins glauque qu’un peep show, et c’est la performance du film, de les présenter comme on présente habituellement le striptease féminin. Face à l’attendrissement ou l’amusement Full Monty, nous ressentons de la pitié, du rejet, du dégoût, comme pour les filles du Bada Bing, le strip club de Tony Soprano.

Dans le même souci d’inversion, Soderbergh filme l’histoire d’amour qui nait entre Brooke, cette fille toute simple, jolie, sans plus, et Magic Mike, bombasse mâle apparemment inaccessible, objet sexuel à qui pas grand monde ne résiste. C’est pourtant Mike qui va ramer, avec un réalisme et une légèreté qui fait beaucoup de bien dans le cinéma américain.

Du cinéma de faiseur comme celui-là, Ludovico veut bien en manger tous les jours…
ludovico
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le 15 nov. 2013

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