Dire que ce reboot des aventures cinématographiques de l'autre plus célèbre héros DC était attendu tient de l'euphémisme, d'autant que Christopher Nolan, après avoir réussi à ressusciter Batman à l'écran, se voyait ici hériter du poste de producteur exécutif. A Zach Snyder de mettre en scène cette nouvelle adaptation, 8 ans après le décevant Superman Returns de Bryan Singer. Le savoir-faire d'un réalisateur qui avait su si bien transposer à l'écran les aventures des Watchmen et des 300, sa virtuosité cinégénique à toute épreuve et sa capacité à proposer des séquences d'action inégalables, semblait présager d'un nouvel opus rendant enfin justice à l'homme d'acier, plus de trois décennies après la version de Donner.


De prime abord, le spectacle est total, Zach Snyder ouvrant les hostilités sur un prologue guerrier situé sur la planète Krypton, alors mourante. Une vision sans précédent de la planète d'origine de Superman, tenant beaucoup de la fantasy high-tech et où s'affrontent quasi-fraternellement le sage Jor-El et le belliqueux Zod sur fond d'Apocalypse planétaire.


Certes, on est déjà loin du lyrisme des premières images du film original mais ce prélude promet indéniablement un spectacle sans commune mesure. C'est pourtant dès l'arrivée sur Terre de Kal-El que tout fout le camp. La faute à un scénario non linéaire éludant de manière extrêmement frustrantes les jeunes années de Clark Kent, sa relation avec sa famille d'adoption, son errance solitaire à travers l'Amérique à l'âge adulte. Une construction narrative éclatée qui joue largement en défaveur d'un film d'où ne s'extrait quasiment aucune émotion. De ce seul point de vue scénaristique, on était bien en droit d'attendre beaucoup mieux de la part de David S.Goyer, scénariste de Dark City, de Blade et co-scénariste de la trilogie du Dark Knight. A l'arrivée, on retrouve bien ici sa patte narrative, que ce soit dans le foisonnement de personnages ou l'énième utilisation d'un macguffin comme enjeu principal des hostilités entre Kal-El et Zod. D'ailleurs l'antagonisme de ces deux personnages demeure un des atouts majeurs de l'intrigue. Loin d'être un énième super-vilain caricatural, Zod est avant tout un militaire et un patriote, faisant le mal pour le bien des siens et servant cette société eugénique où les enfants étaient créés artificiellement et prédestinés à la guerre ou à la science. Une espèce qui s'est finalement anéantie elle-même et que ce "méchant" compte bien recréer sur Terre au dépend de l'humanité. Ce qui place évidemment Kal-El (Henry Cavill, irréprochable) face à un dilemme moral, choisir de rejoindre sa race ou de défendre cette humanité adoptive. Un choix d'autant plus difficile que Kal-El est finalement marginalisé dans les deux camps : de par sa condition surhumaine vis-à-vis du peuple humain et parce qu'il est un enfant Kryptonien naturel et donc hors-la-loi vis-à-vis de ses congénères. Un super-héros dépourvu de repères et en pleine quête identitaire.


Une dualité complexe qui ne méritait certainement pas un traitement aussi elliptique. Car à l'arrivée, ce ne sont pas moins de 50 minutes du scénario original de David S.Goyer qui furent coupées du montage final de Man of Steel, lequel devait à l'origine narrer de manière linéaire la quête initiatique de Kal-El. Goyer n'a finalement écrit que ce qu'on lui a demandé d'écrire et les nombreuses ellipses de son scénario (la trajectoire initiatique si peu développée de Kal-El mais aussi les réactions humaines un peu trop expédiées face à l'arrivée des extra-terrestres sur Terre) sont surtout dûes à la volonté des producteurs d'aller droit au but dès le premier opus de ce reboot, en prenant pour acquis que l'essentiel du public connait déjà les origines de Superman et se fiche complètement de son parcours dramatique. D'où la semi-déception engendrée par ce Man of Steel qui en plus d'une narration aléatoire, bouffe clairement à tous les râteliers, que ce soit dans la pure SF hardcore, le film de guerre ou même l'épopée biblique.


Noyé dans des ambitions folles, Man of Steel n'hésite d'ailleurs pas à comparer Kal-El au Christ, ce qui était d'ailleurs déjà le cas dans le film de Donner (une comparaison biblique sur laquelle aura beaucoup insisté l'équipe du film lors de sa promotion). C'est donc à 33 berges, après avoir erré et cherché longtemps sa place en ce monde que Clark réalise sa condition messianique au détour d'une confession auprès d'un prêtre, en acceptant de se sacrifier pour sa race d'adoption et de se livrer aux légions romaines. Sauf que celles-ci n'ont en aucun cas la volonté d'épargner l'humanité, ce qui ré-investit dès lors Kal-El dans sa position de super-héros. Ou plutôt d'ange de l'apocalypse. Car c'est véritablement dans sa seconde partie que le film prend tout son intérêt, un déluge de bellicisme ahurissant privilégiant les empoignades surhumaines et les séquences de destructions de masse qui feraient presque passer celles d'Avengers pour de l'esbroufe visuelle discount. A ce titre, les nombreux pugilats entre Kal-El et ses congénères (dont la terrible Faora) relèvent du jamais vu en images live et leur contexte évoque pour beaucoup celui d'un Goku luttant contre ses frères de sang pour protéger sa planète d'adoption. A ce titre, la confrontation finale entre Kal-El et Zod prend des proportions narratives et visuelles dantesques tant elle oppose les deux derniers représentants d'une espèce disparue, ce qui servait aussi de point de départ de la série DBZ élaboré par un Akira Toriyama qui n'a d'ailleurs jamais caché ses emprunts à la création de Jerry Spiegel. De ce seul point de vue là, la boucle est donc bouclée. L'affrontement final prend alors des allures fratricides, notamment dans cet ultime choix imposé au héros, auquel succède un cri de rage et de détresse où s'exprime tous les tourments inhérents à la condition du personnage.


Un cri final qui aurait pu néanmoins prendre une valeur bien plus dramatique et bouleversante si le scénario s'était auparavant pleinement consacré à nous faire ressentir la solitude de Kal-El, au travers de sa jeunesse et de ses errances solitaires que le scénario ne résumera qu'à des flash-backs parfois poignants certes mais tellement mal exploités. Au point qu'on sera tenté de n'y voir que de grotesques raccourcis narratifs, intervenants de manière aléatoire au gré d'une intrigue qui sacrifie nombre de ses personnages secondaires et en ressuscitent d'autres de manière parfois trop opportunes (le fantôme de Jor-El intervenant toujours au bon moment, la belle affaire). Ce type de narration déstructurée aux multiples personnages qui s'appliquait parfaitement à la trajectoire complexe de Bruce Wayne dans Batman Begins échoue ici à traduire toute l'essence de Superman, sa condition unique, son sentiment d'extrême solitude, son parcours initiatique, ses liens affectifs avec ses parents d'adoption, sa quête quant à ses origines. En résulte un manque flagrant d'émotions, les rapports du héros avec Loïs Lane et son père adoptif (excellent Kevin Costner) étant ici largement sacrifiés au profit du spectaculaire. A ce titre la mort de Jonathan Kent confine un peu au ridicule et on regrette quelque peu la sobriété dramatique de Richard Donner lorsqu'il sacrifiait ce même personnage dans son film.


A ce traitement narratif regrettable répond pourtant la puissance cinégénique de la mise en scène de Snyder, lequel prouve une fois de plus sa parfaite maîtrise du médium que ce soit par son art du cadre, l'utilisation des effets spéciaux ou sa manière de saisir parfaitement à l'image l'action la plus frénétique (Bay peut aller se rhabiller). Tout aussi bancal puisse-t-il être d'un point de vue scénaristique, Man of Steel n'en reste pas moins un spectacle visuellement ahurissant où la force iconique de ses images (Jor-El chevauchant un dragon, le premier envol de Kal-El), relevée par le score hybride de Hans Zimmer (toute la B.O. est une succession de variations sur le même thème) le dispute à des séquences d'action d'un bellicisme sans commune mesure, confrontant autant de surhommes (et de surfemmes) que d'humains héroïques et hargneux (le bad-ass Chris Méloni et son couteau). On s'étonnera cependant du parti-pris formel de certaines séquences d'action, filmées en caméra portée à la manière d'un reportage de guerre, ce qui reste une première de la part du réalisateur de 300 et Sucker Punch. Le réalisateur use de la sorte de multiples décadrages pour souligner la puissance et la rapidité des Kryptoniens au risque que l'action devienne illisible. Ce qui n'arrive pourtant pas, Snyder ne perdant jamais de vue ses personnages et ce malgré la frénésie sidérante de leurs combats. Au cours d'un dernier acte exclusivement tourné vers l'action et le déluge pyrotechnique, les morceaux de bravoure se succèdent alors sans discontinuer dans un maelstrom de destruction massive sans précédent à l'écran et qui trouvent pour point d'orgue cet affrontement exaltant de près de dix minutes entre Kal-El et Zod.


Alors bien sûr, on pourra traiter Man of Steel d'oeuvre formatée et Snyder de simple tâcheron. Ce qui ne serait pas juste tant le film draine tout un tas de thèmes chers au réalisateur comme la famille, la guerre, le surhomme et la religion. Au point qu'il s'inscrit en parfaite adéquation avec les films précédents du réalisateur.


Au final, Man of Steel reste surtout une véritable démonstration de force cinégénique qui sacrifie à la puissance iconique de ses images, un traitement dramatique digne de ce nom. En voulant concentrer en ce seul film toute la mythologie primordiale de l'Homme d'acier, les auteurs (à qui attribuer toutes ces erreurs ?) livrent à l'arrivée un divertissement hautement spectaculaire certes, Snyder n'ayant définitivement pas son pareil pour filmer l'action, mais qui échoue à véhiculer la moindre émotion. En résulte ce sentiment de gâchis et l'espoir que la prochaine rencontre de Kal-El et du Chevalier Noir sera autrement plus aboutie que ce long ride pyrotechnique.

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le 5 mai 2015

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Buddy_Noone

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