C'est en toute discrétion, que sort sur nos écrans ce premier film de Josef Wladyka, produit par Spike Lee. Manos Sucias; en français "Les mains sales" est une plongée en apnée dans une Colombie gangrenée par la drogue. La caméra met en perspective le parcours de trois hommes, animés par la même motivation, celle de survivre dans cet enfer sur terre.


"De la confusion, naît l'émotion", c'est le premier sentiment, que l'on ressent face à une mise en place laborieuse, prélude à la quintessence du propos. Le spectateur, à l'image des deux hommes aux yeux bandés, se demande ou il se trouve, bien qu'il n'ait pas oublié les raisons qui l'ont conduit à pousser les portes des salles obscures. Par le biais d'un flash-back narratif, le réalisateur tente de réordonner le récit, mais en vain....Malgré cela, les éléments à découvrir auront leur plus grande importance pour la suite. En cédant à la mode du style documentaire, avec une caméra souvent prise de convulsions, la réalisation n'aide pas non plus, à apprécier les débuts de l'histoire.


Josef Wladyka nous embarque à la découverte de Buenaventura en Colombie, où les rues transpirent la pauvreté. La jeunesse; semblable à celle de n'importe quel autre pays, rêve de gloire et d'argent; croit au foot ou au rap comme levier social. Aussi arrogante que pleine d'énergie, cette juvénilité est surtout victime de la misère économique du pays. Pour tirer son épingle du jeu, le trafic de stupéfiants qui vampirise toutes les strates de la société, semble la seule issue. L'environnement est violent, et cette violence n'épargne personne. Chacun doit lutter pour espérer vivre encore et surtout, mieux. Mais à l'instant, seul le profit compte, aux yeux du "jefe". Le tristement célèbre "dieu dollar", reste l'unique maître à bord.
C'est dans ce contexte, que l'on retrouve Delio (Christian James Advincula), Jacobo (Jarlin Martinez) et un homme dont on ne connaîtra jamais le nom (Hadder Blandon). Les deux premiers semblent avoir un lourd contentieux à régler, tant ils se regardent avec une rage contenue. Le dernier est expérimenté, il est en quelque sorte le chef de cette livraison périlleuse de drogue. Lui est blanc, les deux autres sont noirs, les clivages racistes ne vont pas tarder à se faire sentir. Au détour d'une conversation anodine, censée déterminer qui de Pelé ou de Zico est le meilleur joueur de foot brésilien . La tension va monter d'un cran, avant qu'un drame, ne vienne briser définitivement le semblant de cohésion de l'équipe.
L'histoire décolle enfin, se change en huis clos, nous permettant de mieux cerner les personnages. C'est le calme avant la tempête. La beauté des paysages, la vue de cette mer bleu turquoise est trompeuse. Elle cache la misère, poussant chacun dans ses retranchements, au risque d'y perdre leur soupçon d'humanité qui subsiste péniblement. La poudre blanche est convoitée, tant elle génère de l'argent. Les habitants vivent dans la précarité la plus singulière et les milices paramilitaires sèment la terreur, jusqu'à devenir des dangers mortels. Pendant que les différents groupes s'entretuent dans les rues, l'état major, les politiques comme les barons de la drogue, récoltent les billets tous tâchés de sang. Mais le choix moral est-il toujours possible ? Ces gens n'ont plus rien à attendre d'une vie, où le futur semble aussi sombre, que le pessimisme de leurs regards.
La trame semble devenir classique, et laisse une impression de "déjà vu". Pourtant Josef Wladyka, évite de tomber dans la facilité et parvient au contraire à monter en intensité, rendant son film plus passionnant encore. Le lien qui unit ces deux hommes, ce passé commun, les rend attachants et l'appréhension de les voir tomber sous les balles saisie le spectateur. De l'embarcation aux motos rails, véritable symbole de l'inventivité humaine, le récit délaisse le drame pour se mouvoir en un thriller haletant.


Le réalisateur, qui remporta la bourse Spike Lee et lança un appel à financement sur Kickstarter, aurait pu transposer l'histoire à divers endroits du globe. mais il choisit à juste titre la Colombie, où les problèmes sociaux gangrènent particulièrement la population. Cet éclairage sur un pays constamment associé à la drogue et ses cartels, nous permet d'en apprendre davantage sur les conditions de vie de ces gens. Cela confère au film, un côté documentaire, entrouvrant également la porte du drame intrinséquement lié à leur quotidien. La production a mis à contribution les habitants de Buenventura, en leur offrant la possibilité de participer au film, ils ont directement profité de la médiatisation, pour évoquer de manière juste et véritable leurs propres conditions de vie. En parallèle, l'équipe du film a mis en place des cours d'alphabétisation. Cette initiative, démontre le côté humain de l'entreprise, et sa volonté profonde de faire évoluer les choses, en misant sur la prise de conscience. Sans oublier un casting composé d'étudiants du théâtre de l'université de la ville.


Ce premier long-métrage; même s'il n'est pas totalement maîtrisé; dégage une vérité et une sincérité touchante, dans les images, les mots et les échanges de regards de ces hommes. Josef Wladyka s'avère être un réalisateur à suivre. on comprend ainsi pourquoi Spike Lee s'est investi dans cette aventure, tant le film traite des mêmes thèmes qui lui sont chers.

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le 7 juin 2015

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Laurent Doe

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