(Cette critique est remplie de spoilers)


L’histoire de Match Point est assez classique. On fait la connaissance de Chris jeune homme bien sous tout rapport qui va s’intégrer à la haute bourgeoisie Londonienne à travers de bonnes relations et surtout un mariage avec Chloé, fille d’une bonne famille. Mais Chris a également une maitresse, Nola, à qui il promet de quitter sa femme un jour mais sans jamais passer à l’acte.


Nola et Chris sont deux opposés. Issus tous les deux d’un milieu populaire, voire difficile, ils ont désespérément envie de faire quelque chose de leurs vies du moment qu'ils sont loin de leurs milieux d’origines qui les enferment. Mais là où Nola tente de devenir actrice, quitte à s’acharner, Chris va lui abandonner très vite sa passion du tennis et accepter par la suite un travail qu’il trouve ennuyeux mais néanmoins profitable.


Chris est donc un arriviste mais l’originalité du film, qui ne s’écarte presque jamais de son point de vue, c’est qu’il est surtout un arriviste qui s’ignore. Chris est lâche, menteur et manipulateur mais n’agit jamais froidement ou complaisamment. Chacune de ses décisions le fait se questionner ou sont motivées par des émotions en apparences positives telles que l’amour et la passion. Et si ce comportement fonctionne si bien à Chris c’est aussi parce qu’il se trouve dans un environnement qui appelle à rentrer dans un moule et qui est au fond aussi menteur et manipulable que lui. C’est le cas de la famille Hewett à l’exception justement de Chloé qui là encore sert de contraste en paraissant comme la plus généreuse et honnête. Elle sera la victime inconsciente de tout le film là où Nola joue le rôle de la victime malchanceuse. D’ailleurs la grande théorie de Chris sur la chance qui sourit aux uns et pas à d’autres n’est qu’une théorie fumeuse pour ne pas voir la véritable nature de ses actes. Et de façon très ironique la chance va effectivement lui sourire là où il aurait semble-t-il voulu que ce soit le contraire (nb : l’alliance qui rebondit contre la paroi).


Woody Allen s’amuse beaucoup dans ce film. Il pastiche bien volontiers les films de comédies romantiques. Toute la scène de rencontre avec Chloé est clichée et il en va de même avec les scènes torrides avec Nola que ce soit à leur première rencontre devant la table de ping pong (dialogues rétrospectivement prophétique par ailleurs « Dans quoi suis-je tombé ») et surtout la caricaturale scène de sexe sous la pluie. Car l’intérêt du film est ailleurs, dans la part sombre de Chris qui à la fin du film trouvera plus de « courage » pour tuer celle qu’il aime passionnément (ainsi qu’une dame âgée) que d’avouer la vérité à sa femme ou sa maîtresse. Le film passe son temps à nous faire espérer un dénouement plus classique en faisant succéder les scènes dans laquelle Chris manque d’être démasqué ou entame un début de révélation. Il y a une scène particulièrement éclairante lorsque Chloé demande de façon très calme à Chris s’il l’aime toujours et s’il a une liaison. Une ouverture rêvée pour un début de résolution au dilemme adultérin mais là encore Chris gardera la vérité pour lui.


C’est finalement le même procédé qui sera utilisé pendant et après le meurtre. De façon plus classique, Woody Allen lance une multitude de fausses pistes telles que le passant que percute Chris à la sortie ou encore l’amie à la boutique de Nola qui semble être au courant de son existence et surtout du rendez-vous. Durant l’acte (et même avant) il y a toutes les scènes dans lesquelles Chris fait tomber les cartouches de fusil. Après c’est le sac de tennis qu’il met un temps fou à décharger de ces preuves accablantes. Et ne parlons même pas de l’interrogatoire avec la révélation du journal intime et son inspecteur ultra-perspicace qui résout l’affaire dans sa tête et de la façon la plus caricaturale qui soit en se réveillant subitement la nuit et en criant « Eureka ! »


Mais comme je l’ai écrit c’est lorsque que Chris souhaiterais cette fois que la balle tombe du mauvais côté, que justice soit faite à ses dépends, qu’une chance inouïe lui survient. Lui qui se plaignait de sa petite vie rangée (mais très luxueuse) devra désormais vivre le reste de sa vie dans un tourment émotionnel bien plus grand encore. A la différence du salaud authentique, le mou-salaud doit vivre avec sa conscience. Mais quelque part, et c’est peut-être aussi un propos du film, l’injustice de ce monde c’est aussi que c’est aux audacieux immoraux comme Chris que la « chance » advient tandis qu’elle fait fond bond aux personnes méritantes telles que Nola. Et qu’à travers Chloé c’est encore une fois les ignorants qui sont les plus bénis.


C’est le moment d’expliquer ma note relativement basse. Car si j’ai trouvé le sujet intéressant, je n’ai pas ressenti le même intérêt cinématographiquement. Je trouve que Match Point est un film qui souligne trop son propos au lieu d’essayer d’être plus subtil. Va pour l’allusion avec le match de tennis et les nombreuses scènes volontairement caricaturales du film, mais il y a aussi de véritables lourdeurs de mise en scène qui m’ont plus fait m’exaspérer. Etait-on obligé de montrer Chris en train de lire Dostoïevski ? Ou bien encore de faire coïncider dans un temps très court la mort de Nola et la grossesse de Chloé. Et surtout la scène où il parle aux fantômes de ses victimes. Là c’est du mauvais goût.


L’autre point négatif c’est la construction du film qui passe son temps à enchaîner de courtes scènes de sexe/romance et de longues séquences où Chris essaye de couvrir ses mensonges. Si on ajoute à cela les choix volontaires du film à savoir que le personnage principal est antipathique et le scénario cousu de fil blanc, j’ai eu l’impression de voir un film un peu vide à mes yeux. Rien d’ennuyeux mais rien qui me donne envie de m’exalter. Car là encore je n’ai pas du tout ressenti la montée en tension que tout le monde évoque. Ce que j’ai vraiment trouvé réussi en revanche c’est l’identification au dilemme de Chris. On en arrive à rationaliser sa décision finale alors qu’elle devrait nous paraître comme monstrueuse en temps normal. Et là encore, c’est indépendant du fait de s’identifier ou non au personnage principal.


Match Point est un film raté à mes yeux et je suis le premier à regretter de n’avoir pas pu l’apprécier d’avantage. Pour le coup je ne peux m’empêcher de me dire qu’un même sujet traité par quelqu’un d’autre que Woody Allen (que j’aime bien pourtant), quelqu’un comme Fincher par exemple, ça aurait donné un film autrement plus subtil et passionnant.

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le 31 mars 2016

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Ashtaka

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