Je viens de me le mater ce film. Trois fois ! Quasiment de suite. Comme ça. Coup sur coup. Il me fascine ce film. Il est magnifique. Je l'aime, moi, ce film.

Alors oui, les premières images, elles scotchent. Elles sont stylisées à l'extrême, très léchées. Magnifiques. Quand j'entends se plaindre, je rie sous cape. Il tue tout suspens, on connaît la fin dès les 5 premières minutes ! C'est nul ! Sabotage ! On se moque de qui ! Après ça se dégonfle : plus rien ! Le vide ! Les abîmes ! Le fond du fond !
Parce qu'on connaît jamais la fin d'un film dès le tout début peut-être ? Avant même d'aller le voir ? Le cinéma, c'est des codes ! La fin, ça fait partie de ces codes ! C'est codé ! Le film d'action : le héros gagne à la fin ! Obligé ! Aux arts-martiaux aussi ! La comédie romantique ? Oh ! Pas possible ! Ils se mettent en couple, ils s'aiment ! Bah dis-donc ! Jamais je l'aurais cru ça !
La fin, elle est toujours connue, alors bon, pas la peine de pleurer et de descendre le film là-dessus. S'il se le permet, c'est que c'est pas important. Du tout. La fin. La terre meurt. Et alors ? On le savait oui, mais les films dont la fin surprend, ils se comptent sur les doigts d'une main !

Et puis qui va voir un film pour sa fin ? Franchement ? Qui ? Ce serait ridicule, les films tiendraient sur des Disquettes ! Et pourquoi pas ne publier que la dernière page des livres ? Màrquez, sa CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCEE, dès la première ligne on connaît la fin ! Remboursé ! Et SUNSET BOULVARD ! Dès les premières minutes on sait qu'il va mourir ! Personne n'a dit : "A quoi bon s'intéresser à un cadavre ?" que je sache ! Ce qui compte, c'est ce qu'on a à dire entre-temps. A dire ! Attention ! Pas à raconter ! Comment on en arrive là c'est pas important, raconter une histoire, c'est pas important ! C'est la mise en scène. L'image. Les plans. Comment, combien c'est pensé. MELANCHOLIA, c'est pas de la SF, pas de l'apocalypse, la mélancolie, avant d'être une planète dans un film, c'est avant tout un sentiment ! Et plus que ça : une maladie ! C'est ça qui est filmé, montré. Comment un sentiment qui désolidarise, immobilise, angoisse, est vécu par un personnage sans jamais qu'il puisse le partager à quiconque, en devant lutter pour continuer à correspondre à une image à laquelle il se plie de force. Elle est à bout de forces au mariage. C'est ça qui est montré. Rien d'autre. Ce qui est montré c'est comment elle est jugée par les gens sains d'esprit. Et comment eux agiraient avec toute leur normalité s'ils se mettaient à affronter le même sentiment. Les mêmes idées ...
Elle vient de là la polémique à Cannes, que personne n'a osé comprendre. Pourtant le film LA CHUTE existe bien. Un petit teigneux dans un bunker qui regarde son monde s'écrouler autour de lui, déprimé, mélancolique, ce sentiment si humain qu'il a forcément dû ressentir, il le fait ressentir à ses personnages là. Il ne parlait que de ce moment là de la vie du petit homme. Pas d'un autre ... Est-que deux heures de sa vie suffisent à racheter les 15 années qui ont précédé, non évidemment. Et Trier serait d'accord. Mais ça ne l'interdit pas d'y penser. Passons.

Pas un film sur la fin du monde. Donc. Alors la destruction de la planète, ça devrait même pas tomber sur le tapis ... Regardez l'affiche un peu ! La jolie image c'est quoi ? Des gens qui hurlent ? Des planètes qui se télescopent ? Non que je sache ... C'est une mariée qui se tient comme une morte dans un marécage. L'air serein. Et là tout est dit. Son mariage est même pas encore fini que c'est déjà un désastre, elle s'enlise, elle se noie. S'embourbe. Sa vie si elle pouvait elle l'abandonnerait ça lui pèse. Elle peut rien dire. Comme Ophélia. Oui. Traitée de folle. Et dans le film, plus fort encore : elle descend lentement vers le bas de l'image. Souriante. Mais figée. La seule pensée consolante : en fermant les yeux, en faisant le dos rond, tout ça passera. Bientôt fini.
Un an à pôle emploi, vous saurez ce que c'est. On finit pareil. A attendre dans son lit, ne plus répondre au téléphone. Se faire oublier. Ne plus ouvrir le courrier. Une fois qu'on est oublié, bon sang, qu'est-ce qu'on est soulagé ...
Bref ...

L'introduction. Ses clins d’œil à des tableaux célèbres ... Poésie tout ça ... Surréalisme ... Ralenti et tout le toutim, tout a été dit déjà. Pas besoin de revenir dessus. Les images de la grosse planète, de la fin du monde, elles sont pas là pour teaser, la grosse planète, c'est pas une promesse. C'est une hyperbole. Son sentiment. Tout s'écroule. Pas d'issue possible. Pourtant, en attendant ... faut bien faire quelque-chose. On se plie aux codes, aux habitudes ... Jusqu'à ce que ça ne marche plus. C'est du drame. Rien d'autre. Personnel, familial, soit, si on veut. Du drame. Et faut pas croire, comme beaucoup, que c'est au fil du mariage qu'elle devient déprimée la petite. Dès le début ! Dès bien avant que le film commence ! Mais alors ! Pourquoi elle rit, cette bécasse ?" que vous vous demandez. Bah regardez. Regardez les deux attitudes des mariés. La voiture est bloquée, d'entrée de jeu elle rit. La situation est cocasse. En elle-même. Le mari, lui, il est soucieux. Pas souriant pour un sou. Ca l'ennuie cette affaire. L'enjeu est grand pour lui : mariage et tout ! Et les autres qui attendent ! Il prend les choses en main ! Marche pas ! Elle ? Elle rit ? Pas d'enjeu pour elle, le mariage à des années-lumière d'ici, elle voit juste la situation en elle-même, la disproportion de tout entre la voiture et la route, leur situation et tout le monde qui attend et elle est dans l'enchantement de ce moment très simple. Enchantement d'enfant aussi, face à l'étoile, au cheval. Tout plutôt que le mariage. Ça l'ennuie cette fête, la dépense, les attentes de chacun, tout ce poids sur ses épaules ... Et ça devrait être son jour ! Ha ! si c'était le cas, elle serait loin ... Et comme toujours avec ces fêtes, tout vient en même temps, tous les raseurs du monde, tous les problèmes ! Alors elle craque. Elle fait encore un peu l'effort, mais le cœur n'y est plus, toutes les occasions de fuir sont bonnes à prendre. Tout le monde est là pour elle, c'est son jour c'est la mariée, tout le monde veut qu'elle soit heureuse, mais personne n'est là pour l'écouter vraiment. Se soucier de ce qu'elle veut. Quand elle demande à parler, de ses angoisses, de ses peurs, personne l'écoute. Elle traîne ça toute seule. Drame personnel. Drame familiale. Histoire quotidienne : on a tous vécu ça.
Le pire, c'est que si on ne l'écoute pas, c'est uniquement parce que c'est son mariage. Qu'elle doit être heureuse. Que tout le monde fait mille efforts. A cause d'un rituel auquel tout le monde s'accroche alors que tout le monde sait que c'est la fin du monde. C'est-à-dire qu'un jour on sera à l'article de la mort et que plus aucun rituel n'aura de sens. Plus aucun mensonge n'aura de sens. Plus aucune habitude. Même de dire bonjour à son voisin ou d'aller au travail, et même peut-être de manger ...

Et ce serait mal filmé ? Au contraire ! C'est filmé comme un film de mariage fait au caméscope. Comme si on était de la famille, en mode voyeur, en mode immersion. Il y a même un type qui par deux fois se masque le visage pour pas être filmé ! Rendez-vous compte ! Qui en parle de lui ? Hein ? On traite cette esthétique de boboïsante ? De pseudo-cinéma ? De non-cinéma cervelleux et gerbant ? Bah non. C'est un choix qui s'impose. Normal.
La seconde partie, le monde s'arrête. Il est à sa fin. Tout le monde se retrouve dans sa situation. Ça leur tombe dessus. Une fois la parenthèse magique fermée, on revient à ses petites angoisses. Le monde touche à sa fin. Plus rien n'a de sens, de valeur. Plus d'espoir. D'avenir. Adieu, belles pommes rouges sucrée un peu acides et lopin de terre. Que fait-on ?
L'homme qui n'a plus sa science pour l'épauler, plus sa raison comme béquille, s'écroule. Il se tue. Le monde n'a plus de sens il fuit. Seul. Sans demander son reste. Sans prévenir. Rien. Typique. Crise de la cinquantaine. Reste la soeur. Elle aimerait bien mourir aussi. Mais faut protéger l'enfant. C'est ce qu'elle va faire. Elle peut pas partir sans stratagème, pour apaiser l'angoisse. Elle veut du vin. La terrasse. Elle se fait envoyer bouler, quelque-chose de bien. Bien fait ! Et Dunst. elle, elle est apaisée. Elle n'a même pas à se tuer. Ses angoisses ? Balayées. Elle n'a qu'à fermer les yeux. Et bientôt, tout sera réglé. Sa cabane, c'est pas un rituel. Elle avait fait une promesse au petiot, elle l'a tient, ça lui tient à cœur, ça coûte plus rien, et ça le rassurera. Elle protège le petit.

Elle joue très bien. Elle est bouleversante. Parfois au bord des larmes. Parfois lasse. Mais lasse ! Parfois vide. Parfois amusée. Son sourire figée. Toujours exprimant le contraire de ce qu'elle dit. Quand elle regarde la photo, elle est effrayante tant elle est perplexe. Sourcils froncés. Et ça tête ! On voit bien qu'elle est désolée pour lui. Ne sais pas comment lui dire. Que tout ça, ça tiendra pas la route une seconde. Mais lui, c'est pas qu'il veut pas. C'est qu'il peut pas entendre. Il est bête ça se voit. Il faut rien lui dire ... Le pauvre enfant ! Le protéger ! Lui aussi ! Trop bête pour pas avoir vu qu'elle était dépressive. Pour avoir vu qu'elle se forçait pour faire plaisir aux autres.

Parce qu'il faut y songer un peu : dans notre vie, qu'elle sont les choses que l'on accepte que pour faire plaisir, ou comme les autres, ou parce que c'est comme ça, qu'il faut bien vivre, etc et contre lesquels on se révolterait bien. Si on devait mourir demain, seul dans son coin, sans grande fête ni grosse orgie, qu'est-ce qu'on continuerait à faire ? Qui continuerai-t-on de voir ? De qui se soucierait-on ? Regardez : le mari à aucun moment est pleuré. Le sort des autres humains ? On s'en moque. Les deux sœurs ne se soucient pas l'une de l'autre. Il n'y a que l'enfant qui compte. C'est quand-même un monde ...
FanzineleChancr
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le 11 août 2012

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Loci Incerti

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