Soleil noir de la mélancolie
Quoiqu'on pense du dernier film de Lars von Trier, son intérêt réside dans ce qui déborde le cadre purement fictionnel. On ne peut plus apprécier son univers sans faire des allers-retours avec ses opus précédents, tant ce cinéaste - manifestement aussi instable que sa caméra virevoltante -, est attendu au tournant ; tant il est difficile à enfermer dans un geste cinématographique défini. Quelque soit l'évidence de la métaphore inscrite au coeur de "Mélancholia", sa force lumineuse (la menace de fin du monde comme expression de l'expulsion d'une douleur intime), le vrai sujet autour duquel tourne le cinéaste danois, c'est la femme.
Tout de même, ce n'est pas rien d'avoir dans ses films des actrices qui obtiennent des prix d'interprétation à Cannes. Cela vous assure une réputation. Mais masque - à peine - la problématique, toujours renouvellée, mais jamais achevée, dans laquelle on se trouve. Pour Lars von Trier - à qui un cinéaste a attribué à Cannes la palme d'or de la misogynie pour "Antichrist" -, la femme semble un problême insoluble. Insoluble en tout cas dans sa relation à l'homme. Aussitôt mariée dans "Breaking the waves", Emily Watson se voit privée de mari pour cause d'accident. Aussitôt mariée dans "Mélancholia", Kirsten Dunst renvoie son mari à son petit désir romantique.
Comme un entomologiste qui expérimente des effets sur des insectes, Lars von Trier utilise ses actrices pour à la fois jeter sur elles une lueur particulière, au point de les faire briller (c'est la métaphore la plus profonde du film) comme pour les maintenir dans l'ombre, dans des comportements inavouables. Comme Freud, Lars semble se demander "Que veut le femme ?". Il dépèce une même figure en la divisant : la division du film ne vaut que pour l'inversion de Kirsten Dunst. De lumineuse, elle devient catatonique. Charlotte Gainsbourg, qui n'est que son alter-ego, absorbe toute la mélancolie de sa soeur quand Dunst, redevenue équilibrée, reçoit elle la lumière.
"Mélancholia" est un film où Lars von Trier essaie désespérément de faire le point sur les femmes. Pas seulement techniquement,vu les nombreux flous, mais esthétiquement : en braquant sa caméra sur des deux actrices principales, il cherche en permanence à trouver un éclairage adéquat. De la lumière à l'ombre, de l'ombre à la lumière. Ca donne des prix d'interprétation, mais la recherche est constante, incertaine, indécise.