Original, le cinéma de Wes Anderson l’est assurément. Depuis 16 ans, cet Américain de 43 ans a su créer, avec talent mais aussi avec maniérisme, un univers farfelu aux dialogues ciselés et aux plans millimétrés. Si je n’ai jamais adhéré complètement au style Anderson, sa progression était notable avec « A bord du Darjeeling Limited » et « Fantastic Mr Fox », ses deux derniers films, les meilleurs de sa filmographie à défaut d’être des chefs d’œuvre. À croire que Roald Dahl sait révéler le meilleur de chacun : Tim Burton et Henry Selick en savent quelque chose.

Pour ce septième long-métrage, Wes Anderson narre le parcours de deux jeunes marginaux, Suzy et Sam, dans les années 1960 sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre. Tombés amoureux un an auparavant, ils avaient soigneusement préparé depuis quelques mois les modalités de leur fugue qui occupera la moitié du film. Véritable ode à l’amour adolescent et critique acerbe d’une société désincarnée où le monde des adultes demeure cloisonné aux aspirations d’une jeunesse en mal d’amour, le réalisateur soigne aussi bien le casting des enfants que celui des adultes.

Car si le film nous permet de découvrir les talents de demain, Jared Gilman et Kara Hayward en tête, ceux-ci sont entourés par toute une clique d’acteurs géniaux : Edward Norton, Bruce Willis, Frances McDormand, le convaincu aux méthodes andersoniennes Bill Murray, Jason Schwartzman et les trop rares Tilda Swinton et Harvey Keitel sans doute encore trop peu exploités dans ce film mais, au moins, ils apparaissent. Au scénario, Roman Coppola vient à nouveau épauler Wes Anderson pour livrer une histoire tendre, fluide, touchante et débordante d’amour.

Si le monde des adultes pourra paraître stéréotypé et enfermé dans des rituels déshumanisants (le chef de la troupe des scouts et ses rituels du lever, de l’inspection, du petit-déjeuner, du journal audio enregistré ; Laura Bishop et son mégaphone symbolisant la difficulté à communiquer avec ses enfants mais aussi avec son mari…), une déshumanisation d’ailleurs reprochée par certains spectateurs déçus, il faut bien comprendre que c’est là une volonté du réalisateur.

À la réalisation, il ne faut pas être allergique au style Anderson : une photographie splendide mais où domine un jaune criard qui pourra en rebuter plus d’un, des plans millimétrés et d’une symétrie parfaite taillés à la règle, au compas et à l'équerre, des travellings splendides mais nombreux (à voir tout le travail de l’introduction dans la maison de Suzy qui paraît en maison de poupée aux yeux du spectateur, une critique possible pour celui qui trouvera le cinéma d’Anderson déshumanisé).

Il est clair que « Moonrise Kingdom » est un film-somme de l’œuvre de Wes Anderson. Faisant en quelque sorte le bilan de plus de quinze années de cinéma saugrenu et absurde, nous y trouverons tous les ingrédients de son cinéma. Si le film n’est pas exempt de tout reproche, je le salue d’un généreux 10 pour la beauté du cinéma et l’émotion qu’il m’a apportée.

Après tout, pour ce film, au moins, Wes Anderson est un fantasme de cinéphile devenu réalité où chaque détail, chaque plan, chaque mouvement de caméra invite à l’émerveillement parfois plus technique que narratif du spectateur. Il me semble que Wes Anderson est à la quintessence de son art et qu’il lui faudra prendre d’autres directions plus novatrices pour lui dans ses prochains films pour me séduire. Mais, sur ce coup-ci, c’est fait et de quelle manière !
potaille
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le 16 nov. 2012

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potaille

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