Si vous voulez la liste non-exhaustive des qualités absolument miraculeuses de ce long-métrage presque centenaire, je vous renvoie à d’autres critiques comme celle d’Adobarbu par exemple, ou plus simplement à quelques ouvrages généraux sur l’histoire du cinéma qui se feront un plaisir d’éclairer un tant soit peu votre lanterne…


Sinon, vous pouvez aussi me faire confiance si je vous dis qu’on a jamais vu un film pareil en 1915, qu’on n’en verra pas de sitôt et que le génie de ce film le rend absolument passionnant à voir 98 ans plus tard, que ses 3h10 s’enfilent comme un cocktail au rhum un soir d’été et que vous feriez mieux de foncer le voir au lieu de me lire passivement écrasés par la torpeur saisonnière (je dis passivement, j’extrapole à dessein, j’en connais qui en profitent généralement pour torturer leur clavier de rage, bourrer leur écran ou leur animal domestique de coups de poing et plus généralement s’arracher les cheveux par poignées en me vouant aux plus lointaines gémonies…).


Non, aujourd’hui, étrangement, je n’ai pas la force pour faire tout un cours d’histoire du cinéma et tant pis si je ne trouverais jamais meilleur exemple pour ça, à la place, je vais me faire l’avocat du diable.


Je vais vous expliquer pourquoi le film est formidable avec son étrange apologie du Ku-Klux-Klan et non pas malgré elle.


Le diable, pour le coup, il s’agit bien de ça, il suffit d’un bref regard sur les deux derniers navets propagandistes bien-pensants et malodorants des braves Spielberg et Tarantino pour se rendre compte que le K.K.K. n’a pas la cote de nos jours, allez savoir pourquoi… Et tant pis d’ailleurs si on mélange allègrement le mouvement fondateur dont nous parle le film de Griffith et sa renaissance qui fut postérieure à la sortie du film et dont on peut d’ailleurs lui imputer la faute sans trop d’erreur… Enfin, la faute, je veux dire l’explication, bien que Français, je n’ai aucun goût pour les condamnations de cinéastes ou d’écrivains pour les actes de suiveurs imbéciles parfaitement répréhensibles et pénalement condamnables par ailleurs.


Après tout, ce n’est pas parce que c’est un concept mal vu dans ce pays que je n’ai pas le droit d’avoir un petit faible pour une liberté d’expression pleine et entière.


Malgré tout, au risque de vous décevoir, je ne vais pas pour autant pouvoir faire ici l’apologie du mouvement de débiles sudistes avec des chapeaux pointus (ou à pointe, on remarque dans le film qu’il y en a toute une variété en fait, très instructif, ça donne un petit côté teuton du meilleur aloi), d’abord parce que ce n’est pas mon truc et ensuite parce que ça serait fausser le problème d’entrée de jeu.


Ce qui est intéressant ici, c’est justement cette façon d’aborder un sujet sensible par un biais inattendu, et je veux dire par là, inattendu y compris à l’époque où les vagues de protestations n’eurent rien à envier à celles que je lis aujourd’hui ici et là, les ânes à chroniques pullulant comme toujours sur ce site pour vous expliquer, sans ironie, que le racisme c’est mal et vous traiter comme des enfants en bas âge, eux-mêmes remplis de haine et d’intolérance pour tous ces monstres qui ne prennent pas la peine d’avoir la leur, de tolérance, justement…


Pour Griffith, sudiste né à peine dix ans après la fin de la guerre de sécession, nulle volonté de choquer d’ailleurs, plutôt un malentendu, un quiproquo qu’il essaiera de corriger par son film suivant, « Intolérance », encore plus gros, plus longs, plus parallèle, mais sans génie cette fois, comme quoi, le politiquement correct n’est pas forcément le plus sûr chemin vers les créations intelligentes…


De nos jours, par la vertu de ce sacro-saint principe qui veut que l’histoire soit écrite par les vainqueurs, nulle trace des petits accrocs possibles qui succédèrent à la fin de la guerre lorsque plusieurs millions de citoyens nouvellement entrés dans leurs pleins droits (enfin, les citoyens mâles, bien sûr…) durent cohabiter du jour au lendemain avec plusieurs millions d’anciennes familles, parfois leurs anciens maîtres et aujourd’hui défaits de toutes les façons possibles, le tout gangréné par la présence des carpetbaggers et autres scalawags de mauvaise réputation. Lincoln chez Spielberg balaie d’ailleurs la question à venir d’un revers de main au nom des principes mais c’est un peu court comme réponse pour qui possède un minimum de curiosité. Alors oui, et c’était assez prévisible, les élections qui suivirent la fin de la guerre ne furent pas un modèle absolu de démocratie dans les Etats du Sud et non, la transition ne s’est pas faite pacifiquement sans violence ni épuration, arrêtons deux minutes de croire au père Noël, ce sera déjà un bon début…


Dans Naissance d’une nation, Griffith propose quelque chose d’assez rare, c’est l’histoire racontée par les vaincus, je trouve ça rafraîchissant en diable et ça n’empêche d’ailleurs pas l’esprit critique, tant la version présentée ici pourra paraitre surréaliste au regard du spectateur lambda des années 2010.


Pour ce qui est de ce film d’ailleurs, je n’ai aucun doute que vous aurez tout l’esprit critique qu’il conviendra d’avoir, j’aurai tellement aimé que vous soyez capables d’avoir le même devant les deux derniers navets des cinéastes cités plus haut, je tombe parfois sur de jolies exceptions, Dieu merci, au gré de critiques moins convenues et cela me console pour la journée, mais leur rareté qui en fait le prix ne prête guère à l’optimisme, hélas.


En fait, Naissance d’une Nation est un film pacifiste d’une très grande force, une véritable fresque humaniste même, pour qui saura la voir sans les œillères que l’on place aux nouveau-nés dès leur naissance et que l’Education Nationale se charge à prix d’or de maintenir en place jusqu’à l’âge adulte.


J’imagine bien que cela n’est guère compréhensible par tout le monde aujourd’hui et cela me désole probablement plus que vous, mais c’est utile parfois de regarder une œuvre avec un minimum de recul historique, avec une certaine compréhension des modes de pensées d’alors et de ne pas juger uniquement d’après les critères moraux de son petit présent étriqué dont il y aurait d’ailleurs tant à redire… Mais j’imagine que je vais trop loin, que cela impliquerait trop profondément un partage généreux de qualités par trop désuètes : l’intelligence, la légèreté, le recul, l’humour, la curiosité et même la modestie, histoire de faire tiquer les deux derniers lecteurs qui sont restés jusqu’au bout…


Au-delà donc de ses qualités innovantes les plus évidentes, ce formidable spectacle est aussi un objet fascinant qui continue encore et encore à révéler quelque chose en chacun de nous, un petit morceau passionnant de l’histoire de l’humanité, encagoulée de tendresse, de bruit et de fureur et qui signifie beaucoup.

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le 11 juil. 2013

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Torpenn

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