Réalisé par un styliste, la moindre des choses était que le film soit plastiquement très travaillé. Et c'est le cas. Les décors sont beaux, propres, souvent sublimés par une photographie mettant en valeur les surfaces miroitantes, opposant la chaleur du Texas au temps pluvieux de Los Angeles. De la pluie, à Los Angeles ? Au moins le réalisateur offre une vision originale de la ville, qui concourt à placer son personnage principal (Susan Morrow / Amy Adams) dans un environnement détaché de la réalité, vide, déserté.
Elle est mariée mais l'on sent bien qu'elle est seule, perdue dans ses pensées et ses regrets, abandonnée par un mari qui la trompe allègrement à l'autre bout du pays, isolée dans sa magnifique villa et, bientôt, dans la lecture du roman de son ex-mari (Edward / Jake Gyllenhaal), qui à travers une histoire fictive éprouvante va lui faire revivre les moments clefs de leur relation, et faire resurgir à la fois son amour ou sa tendresse pour cet homme "faible", ses doutes, ainsi que sa culpabilité vis-à-vis d'un acte passé irréparable.


Le scénario est simple mais carré (ou carré mais simple si l'on voit le verre à moitié vide), intelligent sans être particulièrement complexe. Le film suit le fil de trois histoires qui se font écho les unes aux autres, entre présent, passé et fiction (celle de Susan lisant le roman d'Edward, le déroulement de leur histoire passée, et bien entendu, l'histoire du roman lui-même, témoignage de la psyché meurtrie d'Edward). Le cœur de Nocturnal Animals n'est pas tant le triple suspense, qui ne tient pas vraiment en haleine, que le portrait intime des deux protagonistes et leur réaction face aux épreuves qu'ils traversent. On suit des personnages impuissants, très littéraires, et en même temps, il y a une sorte de complaisance à être les témoins de leur beaux malheurs. Ils sont seuls, riches, agréables à l’œil, bien habillés, vivent dans des lieux superbes, et leur tristesse est lancinante, profonde. Il y a quelque chose de sublime dans tout cela.
D'un autre côté, on pourrait aisément dire qu'il y a quelque chose de superficiel dans tout cela.


La douleur des personnages va-t-elle transcender leur beauté ou ne parviendra-t-elle pas à percer le vernis ?


Certaines scènes pourront paraître frustrantes du fait d'une écriture peut-être un peu paresseuse, qui n'évite pas les clichés. C'est particulièrement le cas du roman d'Edward : une banale histoire de vengeance, dans un Texas archétypal. Chaque scène ne semble là que pour faire réagir Susan, et nous donner envie d'en savoir plus sur ce qui leur est arrivé. Mais on pourrait légitimement se demander si ce roman présenterait vraiment quelque intérêt à être publié. L'histoire a été vue et relue. En miroir, on en attend un peu plus des scènes clefs de la vie de Susan et Edward, qui sonnent parfois faux (la discussion entre Susan et sa mère manque singulièrement de subtilité).


C'est donc l'atmosphère générale du film plus que son histoire qui pourra emporter l'adhésion, essentiellement grâce au personnage d'Amy Adams, qui parvient à faire exister à travers sa propre fragilité celle du personnage de Jake Gyllenhaal. C'est grâce à eux deux que le spectateur, plutôt que d'être refroidi par le côté artificiel et prétentieux du film, se laissera emporter par son romantisme noir.

ycatlow
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le 31 déc. 2016

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