Dearest, the shadows I live with are numberless.

On pourrait être tenté de classer ce Nos Funérailles (au singulier en version originale) signé Abel Ferrara un peu hâtivement dans la catégorie "films de gangsters". Dans ce cas de figure, on pourrait objecter que le lascar arrive un peu tard, en cette fin des années 90, que les deux films-matrices de Coppola datent d'il y a 20 ans à l'époque, et qu'un tel film ne tient pas vraiment la comparaison avec n'importe quel film sérieux de Scorsese sur le sujet et sorti à la même période. Mais cela reviendrait sans doute à commettre une erreur de jugement. Le tableau mafieux, à la différence des autres œuvres citées, ne constitue pas le cœur du contenu, il n'en est que l'écrin renfermant le potentiel d'un drame familial.


Les années 30, décennie de choix en matière de gangstérisme, ne sont jamais directement évoquées, pas même citées en prologue ou énoncées par un personnage quelconque. On se fit bien sûr aux vêtements, aux voitures, mais aussi au film que regarde au tout début Vincent Gallo et duquel Humphrey Bogart semble lui parler, autant que la bande originale faite de pépites d'époque ou d'arrangements modernes bien sentis. Billie Holiday et son "Gloomy Sunday" ouvrent une porte sur les funérailles du titre et annoncent le ton profondément dramatique de la suite.



Sunday is gloomy, / My hours are slumberless.
Dearest, the shadows / I live with are numberless.
Little white flowers / Will never awaken you.
Not where the black coach / Of sorrow has taken you.
Angels have no thought / Of ever returning you.
Would they be angry / If I thought of joining you?


Billie Holyday, extrait du morceau "Gloomy Sunday" : lien.



Curieusement, alors que la mort d'un membre de la famille est au centre du récit, Ferrara sait contenir ses pulsions : pas de séquence aux couleurs extrêmement prononcées, pas de sentiment de rédemption torturée et emphatique. Mais cela n'implique pas l'absence de sentiments forts, bien au contraire. C'est même l'effusion dans la fratrie meurtrie.


Ferrara expérimente ici plutôt du côté des temporalités, et joue avec les flashbacks afin de communiquer le lien fort qui unit les trois frères (Vincent Gallo, Christopher Walken, Chris Penn) dans la mort, ainsi que leurs femmes. Une certaine incertitude quant aux repères temporels locaux flotte à de nombreux moments, contribuant à l'ambiance vaporeuse du film et des souvenirs des différents personnages. À la toute fin, un enchaînement de plans éparpillés dans le temps liera même l'ensemble de la fratrie dans un même mouvement, à l'aide de trois temporalités différentes qui se superposent devant nos yeux. Une autre façon de raconter une histoire, faite de légers coups de pinceaux épars, à la limite de la contiguïté. C'est la sublime consécration d'un cycle de violence infernal dont la famille n'aura pas su s'extraire.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Nos-Funerailles-de-Abel-Ferrara-1996

Morrinson
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le 30 oct. 2016

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Morrinson

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