Notre Jour Viendra - (2010) Romain Gavras.

En lisière du fantastique, plus conte surréaliste que road-movie, ce film jette le spectateur dans une désagréable atmosphère : celle d'être au contraire en plein coeur du réel, un réel qui porte en lui son propre désir d'extinction. Si ce film est violent, choquant, c'est seulement parce-que pour fracasser cette vitre déformante du réel, pour la piétiner, il en coûte au réel de chacun. Il faut passer par un processus d'éradication de l'image que l'on se fait de soi-même par rapport au monde mais aussi par rapport à soi dans ce monde, un prix qu'aucun, tous étant chantres du réel dans le confort psychologique qu'offre l'immuabilité sociale (mêmes les plus aliénés, mêmes les plus victimes représentées ici par cette "race" rousse) ne voudrait payer ; l'individu est un territoire à conserver, et ce même si celui-ci est un mouroir. Il semble fait pour se battre. Rares sont ceux qui fuient. Fuir n'est pas tant se soustraire aux différentes forces oppressives qu'une mise en condition de la solitude, et du combat qui lui est adjoint : seul contre soi-même. Soulés de coups, la folie sociale les attend. Notre Jour Viendra est l'histoire de ces fous qui, de gré ou de force, s'extirpent d'eux-mêmes, à leurs représentations faciles, et leurs paresses. Des personnages qui se perdent, et se déchirent de liberté.

Ce conte est une chute. Cette chute se produit en apparence "d'équilibre", équilibre entre raison et folie, fiction et réel, violence et fragilité (la scène dans le supermarché avec cette fille improbable à la voix d'enfant est grandiose d'humanité dans son sens le plus idéaliste, cette fille est de celles qui sans le savoir, déclenchent chez l'autre le désir de créer, et donc de fuir et de détruire), le psy et son patient, le vrai faible (Cassel) et le messi (Barthelemy), homosexualité et homophobie, etc., un équilibre soutenu par des antagonismes qui s'inversent tels deux pôles magnétiques, sans que l'on comprenne le phénomène, mais dont la soudaine brutalité fait trembler la structure même du film, comme un poids soulevé en l'air par l'effet de levier d'un autre poids s'écrasant avec violence sur le sol et entraînant l'autre continuellement dans la fine beauté d'un envol et conduisant à l'irréductible brutalité crasse d'un crash, antagonismes qui se suffisent à eux-mêmes et qui tiennent l'ensemble en une orbite narrative précaire mais toujours juste.

Ce conte rend grace à la persévérance d'une quête, c'est à dire à son échec constamment renouvelé, mis à jour, perpétué comme autant d'anneaux dantesques entre lesquels la volonté humaine doit nous placer, contre les névroses, contre la maladie, mais aussi contre la joie molle, ou l'abandon dans la souffrance, pour s'accrocher à la liberté et l'épuiser, se tenir par les dents aux parois de cet enfer, et être tiré vers le ciel, par les cheveux s'il le faut. Roux si tel est le hasard. Mais toujours justes et perdus.

Paul Jullien
PaulJullien
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 nov. 2012

Critique lue 330 fois

1 j'aime

PaulJullien

Écrit par

Critique lue 330 fois

1

D'autres avis sur Notre jour viendra

Notre jour viendra
K1000
9

Critique de Notre jour viendra par K1000

A l'avant-première du film à l'ugc des Halles, Romain Gavras qualifie son film, non sans un certain sourire, de "comédie romantique moderne". Plus connu pour avoir réalisé le clip polémique de...

le 14 sept. 2010

54 j'aime

5

Notre jour viendra
takeshi29
4

Jeune et con...et un peu prétentieux

Il est assez instructif d'avoir visionné en l'espace de quelques jours "Dog Pound" (1) de Kim Chapiron et ce "Notre jour viendra" de Romain Gavras, tous deux issus du collectif Kourtrajme et surtout...

le 25 juin 2011

17 j'aime

Notre jour viendra
malik
10

Critique de Notre jour viendra par malik

Je suis vraiment triste d'entendre encore et toujours les mêmes critiques sur ce film, qui serait soit disant sans but et extrêmement violent... pour ma par j'ai était très ému et j'ai énormément ris...

le 29 sept. 2010

14 j'aime

1

Du même critique

Notre jour viendra
PaulJullien
9

Critique de Notre jour viendra par PaulJullien

Notre Jour Viendra - (2010) Romain Gavras. En lisière du fantastique, plus conte surréaliste que road-movie, ce film jette le spectateur dans une désagréable atmosphère : celle d'être au contraire...

le 26 nov. 2012

1 j'aime