Notre jour viendra. Le titre ne résonne pas tant comme la quête d’un paradis chimérique accompagné d’un nihilisme révolutionnaire maladroit que comme l’approche apocalyptique d’un monde qui ne tient plus en place. Et la bande-annonce semblait confirmer ce sentiment, déployant une succession d’images foutraques, montrant un coup des visages hallucinés, un autre l’épaisse fumée d’une usine ou une voiture lancée à cent à l’heure, le tout dans un montage nerveux, doux puis progressivement stroboscopique. Ça semblait audacieux et prometteur, ou bien du n’importe quoi casse-gueule mais au moins ça attirait la curiosité.

Pourtant, une fois devant le film, on est surpris par ce cruel manque d’imagination, par la vacuité du propos autant que de la mise en scène. Si l’on pense par moments à Blier et plus particulièrement aux Valseuses, c’est avant tout pour son absurdité, ses personnages lunatiques que l’on peine à cerner, mais surtout sa faculté à soigner les entrées de personnage secondaires mais de n’en tirer aucune substance, car derrière cela il n’y a jamais la force d’un plan à la Blier, ni sa drôlerie. On pense davantage à Sheitan sur ce point là, de son pote Kim Chapiron (Collectif Kourtrajmé). Mêmes idées bouffonnes, humour choquant mais malheureusement pas vraiment drôle, alors qu’il est clair que c’est ce que le cinéaste recherche. Dans l’un c’était une fille qui arrachait un peu de cheveux (et de crâne) sur la tête d’un type ahuri, après qu’elle n’est masturbée son propre chien. Dans l’autre ce sont deux types qui font irruption dans une salle de sport, l’un planté avec une arbalète sur un vélo, l’autre, la bite à l’air, en train de pisser dans le jacuzzi occupé par un couple. Il y avait un peu cela dans les Valseuses justement, lorsque Depardieu et Dewaere tombaient sur une famille le long d’une rivière, avant de leur subtiliser fille et voiture. Mais Blier se servait de l’absurde plus de façon humoristique que pour choquer, disons d’ailleurs qu’il ne pensait peut-être pas choqué, alors que c’est la volonté première de Gavras, j’en suis persuadé. A vouloir jouer sur deux tableaux, il n’en remplit aucun. Il y a donc des instants, bien qu’ils soient trop écrits, qui m’ont bien fait rire, mais tout se joue dans le débit de parole et son absurdité, ce n’est pas naturel, mais si on est de bonne humeur ça peut passer. Lorsque Patrick (Cassel, en psychiatre qui décide de ne plus se plier au système, de se rebeller) discute avec son acolyte Rémy (Barthélemy, le type de Sheitan, qui a fui le cocon familial aliénant après avoir frappé sur sa mère et sa fille) en lui demandant d’aller taper un des types au bar, répétant sans s’arrêter ‘Un arabe, un arabe…’ c’est très con mais ça m’a fait marrer. Ou alors lorsque Patrick devenu fou, fonce sur une église, manquant de peu d’écraser les mariés, puis que pour défendre son ami en train de se faire tabasser, Rémy demande à chacun des invités de se rouler des pelles sous peine de les dégommer à coup d’arbalète. Voilà, c’est de l’humour ras des pâquerettes, mais c’est en jouant avec un certain ridicule des situations (c’est la seule chose qu’ils ont pour s’en sortir ces deux personnages, le ridicule) que le film pourrait presque devenir touchant, à l’image du questionnement sexuel permanent de Rémy.

En fin de compte on aimerait penser à d’autres films auxquels il est impossible de penser. La vie de Jésus de Bruno Dumont et Seul contre tous de Gaspar Noé. Dans l’un comme dans l’autre, il y avait un récit, des choses à dire, et une mise en scène intéressante, même si je garde de nombreuses réserves sur le Noé, à mon sens plus clinquant qu’inventif. Les premières images de Notre jour viendra laissent pourtant présager une filiation passionnante, avec ce défilé de plans fixes sur des villages nordistes, vidés de toute substance de vie humaine. Très vite on comprend que Gavras n’a pas grand chose à dire, en témoigne ce pitch des plus affreux, selon lequel deux roux paumés s’uniraient contre le monde. C’est là aussi que le réalisateur échoue. Car là où Dumont faisaient vivre ses personnages mêmes s’ils méprisaient leur univers, Gavras semble lui au contraire mépriser ses personnages, mépriser la différence. Chaque irruption dans le film est sujet à une moquerie (des personnages) et à un rictus (des spectateurs). Gaël, le geek gothique homo. Le couple hippie. Le gardien du supermarché. Le juif vendeur d’auto. L’Arabe violent du bar. Des anglaises qui ne cherchent qu’à baiser etc… Il n’y a pas d’incarnation car le cinéaste ne croit absolument pas à ce qu’il fait. La ligne de conduite du collectif Kourtrajmé « Je ne donnerai pas de sens à mes films, mais je ferai des films pour les sens » ne prend pas, puisque l’on ne sent rien. C’est soit trop écrit, dans les dialogues surtout, avec un Vincent Cassel en roue libre. Ou alors ça ne va justement nulle part, ce n’est même pas fou, c’est vide. Pourtant il y a les dernières minutes du film, assez étonnantes. Chaos général puis une longue plage avant que nos deux abandonnés du monde ne se retrouvent bras dans les bras dans une mongolfière lancée vers l’Irlande, sous un ciel rougeâtre, menaçant et magnifique. Deux corps en pleine résurrection. Je ne sais pas si le film méritait plus après tout ce foutoir, mais la fin, elle, commençait bien.
JanosValuska
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le 18 oct. 2014

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