Salutations à toi lecteur égaré, je te préviens tout de suite: je ne suis pas là pour faire une "critique" un tant soit peu constructive sur ce "film". Déjà parce qu'il y a des fois où le cas est tellement désespérant qu'il réussit à vous couper toutes velléités agressives, étant donné que la plupart du temps, nous savons que taper dans le vide n'apportera strictement rien de constructif à ce qui apparaît comme une poujaderie du téléfilm français.


Oui, il s'agit bien d'un téléfilm, pas d'un film et vous expliquer pour quelle raison j'emploie ce terme me permettra également de répondre à une question lue sur une autre critique sur ce même téléfilm (lien mis en annexe). Après tout, nous sommes sur un site culturel, et ceux qui "nous" lisent sont là pour apprendre des trucs.


En l'occurrence, je vais vous conter une petite histoire. Notez que toute ressemblance avec des personnages ayant existé est purement bla bla bla, ok ?


Alors ?


"comment, COMMENT des scénarios de ce calibre obtiennent-t-ils des financements ?"


Or donc, un petit gars (ou une petite garce) prend la peine de s'assoir tous les soirs devant un ordinateur (ou une machine à écrire, pour les nostalgiques - vous verrez que la forme importe peu, ce qui va totalement à l'encontre de ce que vous apprendrez sur le sujet à l'école de cinéma) afin de "produire", en pressurisant son cerveau, des idées et de les coucher sur "papier".


Ainsi va, tous les soirs, L'auteur(e) avance, recule, reprend et réécrit d'anciennes scènes, se relit, s'autocensure, bref fournit un formidable travail de matérialisation des idées afin d'aboutir sur quelque chose d'à peu près convenable. Une fois cela fait (en général au bout d'un ou deux ans de travail acharné), l'auteur(e) paie pour protéger son projet et paie ensuite les impressions pour envoyer son script à la masse de sociétés de production de "cinéma".


Le voilà donc parti avec son scénario sous le bras pour défendre ses idées. Oh, elles ne sont pas forcément extraordinaires. Il y a un peu d'idées, de fraîcheur, un peu de clichés, quelques longueurs... Mais rien d'indéfendable.


Mais cet(te) auteur(e), déjà, va se retrouver au milieu d'une pile de scripts dans laquelle se trouve une fils/fille à papa dont les parents sont plus ou moins intégrés dans le microcosme parisien et consanguin de l'audiovisuel français.


Mais mettons que la société de production a encore quelques envies d'investir dans des projets malgré les quelques millions déjà attribués aux projets pistonnés. Oui, Mohammed ? Non Mohammed, toi tu fais parti des minorités invisibles, et si tu n'es pas déjà encarté humoriste CANAL+/TF1, tu vas galérer tout autant voir plus.


Alors, la société lira le synopsis de son projet. Enfin, si elle a bien reçu le projet bien sûr, le mieux étant de les appeler régulièrement pour s'assurer de leur bonne réception et de l'avancée des discussions. Et merci de ne pas agresser La Poste, les cas où vous envoyez des mails qui tombent dans le warp ne sont pas rares.


Donc, une fois le synopsis lu, ce qui a permis au producteur de se faire une "idée" du projet, le premier couperet tombe: Si c'est un film dit "de genre", c'est dans 99% des cas. Il y a bien des "idées intéressantes", parfois de "l'originalité", voire "une gestion intéressante de certaines scènes", mais vous comprenez, "le marché", c'est quand même important. Certains "arguments" sont encore plus croustillants, comme par exemple Studiocanal invoquant le fait qu'ils préfèrent travailler avec des anglo-saxons pour faire des films "de genre", "parce que les Français, bon...".


J'y reviendrais.


A ce stade là, soit vous faîtes toutes les sociétés de production une par une (bon courage), soit vous laissez tomber et passez à autre chose. Comme à l'écriture d'une comédie ou d'un drame.


Ca y est, vous avez écrit une comédie ou un drame ? Banco ! Vous entrez dans les cases du "marché" ! Le producteur va donc prendre la peine de lire votre script (si il n'a pas trop de temps à consacrer aux copains/copines de la grande famille du cinéma franchouillard bien sûr), et daigner vous pondre un avis. Ca vaut son pensant d'os à ronger: "J'ai bien aimé", "J'en 'ai pas eu le coup de coeur"...


Et oui, ce qui compte, ce n'est pas la qualité d'un scénario, mais le "coup de coeur". Argument tout à fait imparable. Comment répliquer, à ça, allez savoir... Le truc tout à fait subjectif donc, compréhensible en soi (un comble), mais qui pose un sérieux problème pour la diversité. Parce que si au final on peut très bien comprendre que le producteur veuille travailler sur des projets qui lui "plaisent", il circonscrit tout de même son champ de vision à "un ou deux genres" (ceux qui lui plaisent, en gros), ce qui fait que pour la diversité, bon... Ca peut attendre, pas vrai ?


D'ailleurs, vous obtiendrez plus facilement des "coups de coeur" de la part des producteurs si vous pensez à mettre dans votre projet des acteurs "bankables" (Kevin Adams, Dubosc, Clavier, Sy...) ou "télégénique" (Duris, Payet, Hanouna), donc soyez malin, faîtes du cochon pas de l'art.


Il y en a même qui font des chantages sur les auteurs, par exemple les producteurs exigent des auteurs qu'ils changent la fin de leur script sinon ils pourront toujours se torcher avec. Souvent, ils acceptent, du fait du rapport de force totalement en leur défaveur. C'est ce qui s'est passé avec le film Haute Tension d'Aja, dont Besson est le producteur, par exemple.


Mais, même si vous passez au travers et que le producteur vous achète votre projet en le respectant, il (et avec vous) se heurtera au noeud du marché, celui qui fait que Maraval appelle le cinéma franchouillard actuel des "supertéléfilms".


Vous aurez d'abord le CNC. Celui-là, déjà, si vous êtes RSAiste, précaire ayant peu de moyen, bref des couches populaires, il va falloir vous démerder tout seul pour faire le dossier (cinq scripts sur papier, plus déplacement sur Paris pour le dépôt des dossiers, ça coûte quand vous êtes précaires et loin de paris). Si vous y arrivez (ce n'est pas insurmontable en soi), vous vous heurterez ensuite aux consanguins précités, qui préfèreront subventionner (c'est plus complexe que ça, mais je ne suis pas là pour faire un cours sur l'administratif, navré. En commentaire, peut-être) les petits copains et copines plutôt qu'un projet d'un inconnu avec des inconnus - imaginez si vous défendez, en plus, un film "de genre"...


Ensuite, Canal+. Bon, ils ont comme principal problème de devoir rendre des comptes à leurs actionnaires. Le poids du coût du capital (via les dividendes versés aux actionnaires notamment) leur pose un gros problème: cet argent étant détruit, ils doivent faire avec ce qu'il leur reste. Ils reçoivent plus de cinq cent projets par an. Vous avez intérêt à être capable de générer d'innombrables coups de coeur face à une telle concurrence. Je suis un peu méchant. Ils font ce qu'ils peuvent, mais gagez tout de même qu'ils vont privilégier les projets rentables, avec des starlettes, toussa toussa. Après avec un peu de chance, votre petit projet recevra quelques miettes. Il faut ce qu'il faut pour que la chaîne soit rentable.


Allez, Canal+ ne fera rien sans un distributeur. C'est la galère pour en trouver un d'ailleurs. Tout dépend du distributeur que vous aurez. Il y a UGC-Pathé par exemple, avec des moyens conséquents mais cherchant avant tout "les coups de coeurs" avec des acteurs/trices "bankables" dans une "comédie" ou un "drame". Vous aurez des sociétés qui ne peuvent pas financer (qui achètent votre long une fois celui-ci finit) - donc il faudra que le producteur prenne un risque (et je vous préviens, les producteurs détestent les risques: ils préfèreront, à de très rares exceptions, défendre un "coup de coeur" que de s'engager réellement dans un projet), ou qui ne vous donnent que des clopinettes, à peine suffisantes pour payer le matos caméra.


En quatrième, viennent les chaînes de télévision. Ah, les chaînes de télévision... C'est d'elles que vient la fameuse expression de Maraval: les "supertéléfilms". Les chaînes de télévision sont soumises à des obligations légales. Ces obligations sont néanmoins suffisamment élastiques pour qu'elles puissent en jouer. Et comme vous le devinez si bien: Oubliez le film dit "de genre" hein... Les chaînes doivent aussi être "rentables", donc remplir les popoches des actionnaires. En plus des règles de censure, les chaînes sur-privilégient les les "films" qu'elles pourraient diffuser (logique, jusque là) en prime time. "La main invisible du marché" étant inefficace (comme à n'importe quel niveau du capitalisme par ailleurs) pour se réguler vers la diversité, elles investissent énormément dans ce genre de projet pour remplir leurs grilles de programme. Et rappelez-vous le nombre de projets à traiter pour Canal+... Ca doit être l'équivalent pour elles. Donc, elles peuvent exercer, et ne s'en privent en aucune manière, un chantage sur le projet ("je veux tel acteur", "je veux tel technicien", "J'ai la miss météo qui aimerait bien travailler dans le cinéma" etc), l'émasculant au passage pour que le "film" corresponde à leur audimat et aux exigences de la censure.


Vous avez d'autres structures secondaires (SOFICA, aides au niveau régional/départemental), mais la survie d'un projet passe par ces quatre éléments principaux.


Vous l'avez compris (sinon, je vous le dis tout de suite): c'est un commerce. De la même manière que les majors américaines fabriquent des produits, notre système de financement crée des produits, bien franco-français d'ailleurs, faut voir à quel point les mecs (et ceci est valable à tous les niveaux du système) oublient les marchés étrangers, à croire que la France est une île au milieu de nulle part.


Et ça vous explique comment des daubes pareilles (dont j'étais censé faire la critique ici) peuvent être financées et exister: Des copains/copines (Payet), famille de' (Nakache, hum ?), réalisation indigente, script famélique voire inexistant mais entrant parfaitement dans les cases du "marché". Tout y est pour faire un beau produit de consommation, comme notre "exception culturelle française" sait si bien s'en accommoder.


Et vous connaissez la meilleure ? Les films dits "de genre" français marchent mieux à l'international que les supertéléfilms. Comme quoi !

Bung
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le 25 mars 2015

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Bung

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