Génial et complexe, peut-être même par mégarde + Meilleures répliques toutes comédies confondues

Quelques années après Le Caire, nous retrouvons Hubert Bonisseur de La Bath envoyé cette fois à Rio de Janeiro sur les traces d’un nazi maître-chasseur. Il collabore avec une lieutenant-colonelle du Mossad, Dolorès, une femme sèche et au sérieux plombant, bien plus que Larmino du Caire.

C’est un classique instantané, alignant les répliques cultes et une poignée de personnages prodigieux. Avec Rio, Hazanavicius pousse le pastiche nostalgique à son terme. Il intègre une foultitude de références à des films des années 1950 et 60, avec à nouveau Hitchcock et James Bond, mais avec une plus grande place pour le cinéma d’aventures, de L’Homme de Rio au Magnifique, en passant également par Indiana Jones. La mise en scène utilise sans la moindre réserve les tics de l’époque et crée une univers »pop » typique.

Toutefois c’est beaucoup plus qu’une relecture tarantinienne. Ni même une simple recomposition ludique : c’est un chapiteau fabriqué à renforts de clichés particuliers. Ainsi le film torpille soixante ans de lieux communs, ne serait-ce que dans cette minuscule répartie : « je vois bien ce qui vous plaît dans le nazisme ; moi-même, il m’arrive de me fâcher ». L’une des répliques les plus géniales jamais entendues dans une comédie. Un demi-siècle de perceptions d’une sombre période de l’Histoire, d’appréhension primaire du fascisme, traduits par une petite phrase.

Des nazis, les seuls exemplaires suffisamment grotesques pour faire concurrence à Hubert, il fait des individus »cool », des méchants attachants menés par un vieux briscard aristo sur le retour, d’autant plus que leur foi est insensée ; de la même manière que Hubert vit dans la naïveté et l’outrance, croyant pouvoir tout régler, ignorant la nature des hommes et lisant toujours de façon superficielle les situations même les plus graves. Tout ce petit monde traverse la réalité comme si elle était un dessin animé, pendant que les autorités sérieuses (Armand et ses services, les américains du film, les alliés de Dolorès) font leurs affaires. Hazanavicius et son équipe s’amusent de leur décalage à tous et les amène en passant à subvertir les territoires marqués, comme lorsque Von Zimmel se trouve réduit à citer Le Marchand de Venise de Shakeaspeare en reprenant la tirade d’un juif tentant d’émouvoir pour se sauver.

Si le film fonctionne si bien c’est parce qu’il se plie globalement à la volonté de Hubert et se laisse dompter par ses fantasmes. C’est un outil de propagande accompli, juste ironique de A à Z. Et nous aussi nous cédons comme des complices moqueurs, mais complices se délectant à fond pour autant. Hubert est exécrable, un beauf sûr de lui et que tout soit si transparent chez lui sans être parvenu à sa propre conscience en fait le parfait connard absolu. Mais un connard sans la plus petite once de malfaisance et toujours éminemment sympathique.

Un peu à la façon de Stan Smith dans la série American Dad, lui-même adepte de valeurs patriarcales et réactionnaires lui servant de boussole et de rouleau-compresseur. Au milieu de ces Bobby à la française partageant entre eux airs entendus et démonstrations de satisfaction pittoresques, Hazanavicius a crée l’exemplaire ultime. Mais si Hubert est un salaud sans méchanceté, Dolorès est éprouvante. Tous les deux nous écrasent de leurs certitudes absurdes, par leur vision normative d’une sécheresse affligeante ; Hubert nous amuse, lui, car il est expansif.

Politiquement le film peut être apprécié de différentes manières et il est facile d’aller chercher de quoi nourrir sa chapelle, notamment en ce qui concerne la critique de la France gaulliste ou de la franchouillardise. Hubert est la quintessence de l’anti-héros de ce point de vue là aussi. On peut aimer Rio ne répond plus pour son humour brillant et ses saillies divines ; on peut l’aimer aussi si la France épinglée nous réjouit (sans en être dérangés dans le cas inverse : chaque civilisation a ses vices et ses intégristes ordinaires, les railler n’est dans le fond contrariant pour personne, sauf pour ceux-ci – sauf que leurs schémas sont morts).

Toutefois OSS 117 n’est pas dans une lecture politique réelle (auquel cas il aurait des manques), mais bien sociale et accessoirement, de caractère. Il se moque évidemment d’une certaine France vivant dans la cécité, ignorant ses échecs mais aussi ceux qui l’ont abusée (les traîtres de la Guerre, niés par cette France gaulliste), pour un équilibre où seuls des bourrins comme OSS 117 peuvent être pleinement à l’aise.

Prenant pour argent comptant le prêchi-prêcha de rigueur dont les autres ne font que s’accommoder, Hubert est ce genre de type incapable de mesurer l’ampleur d’un phénomène historique, d’une donnée sociale. C’est donc tout naturellement qu’il imagine pouvoir réconcilier Juifs et Nazis, ou encore convaincre ces derniers d’adhérer à son Reich de l’amour. Seuls les gens aussi limpides et sentencieux que lui ont une place (la femme »moderne » a son petit temps de parole) ; pendant ce temps, les autres agents sociaux n’ont aucune existence manifeste parce qu’ils n’ont pas d’essence hystérique.

Ces représentations sont propres à une époque et surtout au conformisme saturé de celle-ci. Lorsque le big boss du Ve Reich, oscillant toujours entre placidité et bouffées d’autoritarisme, lâche des petits "schnell" entre deux soupirs ou griffonne des croix gammées à ses heures perdues, il est l’égal du djihadiste du poche ne s’exprimant que par "allah akhbar" dans les feuilletons plus récents.

Au lieu de se perdre dans le pastiche ripoliné comme il l’a fait avec The Artist, Hazanavicius ferait bien de fabriquer un OSS 117 d’aujourd’hui. Il n’aurait certainement pas ce mélange de charme et de chauvinisme qui rend toujours Hubert aimable malgré sa bêtise. On peut en fait se demander si pour son co-scénariste Jean-François Halin et lui, cette saga n’est pas un hasard providentiel, au milieu d’une œuvre à l’impertinence vaine et la malice pataude ; Hazanavicius est bien un auteur du Clone et des Dalton, en plus d’avoir supervisée la farce somme toute peu engageante La Classe Américaine. Où il n’y avait pas Jean Dujardin, juste les bases qui l’annonçaient, des héros ridicules à l’humiliation de totems sociétaux en tous genres.


http://zogarok.wordpress.com/2014/10/12/6170/

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le 8 nov. 2014

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