Filth doit être le plus gros monstre punk depuis Ex Drummer en 2007. Premier film de Jon S.Baird (qui aurait apporté une discrète participation à la production de Hooligans en 2006), il est adapté d’un roman de Irvin Welsh, dont la première création a déjà été portée à l’écran : c’était Trainspotting de Danny Boyle. Ici il est encore question de drogues, d’hallucinations et de réalité soumise à l’emprise d’un délire profond. Ces gadgets étant posés, le décors et sa population ont changés. Filth tient compte de la réalité sociale de ses personnages et se concentre sur Bruce Robertson, brigadier dans une agence de police écossaise.

Le film peut être considéré sinon comme son portrait, au moins comme un voyage au premier degré à ses côtés. Son univers objectif est sans doute normal mais le filtre par lequel il nous est transmis est aussi grandiloquent et explosif qu’un mélange de Bronson et de polar narquois nuancé par une comédie potache anglo-saxonne no limit. Psychopathe ludique et hystérique, Bruce Robertson est un enfoiré de A à Z, sous toutes les formes, dans toutes les configurations. Assailli de visions atroces et rattrapé par une culpabilité insoupçonnable, il n’a peur de rien car il est déjà en enfer.

C’est une sorte de démon trop perturbé pour craindre la mort et le futur : d’ailleurs il ne peut pas en avoir, puisqu’en toute logique ses tares ne sauraient que se décupler. Il avance donc vers son implosion, avec machiavélisme et impulsivité, ne ratant aucune occasion de tromper, souiller, bafouer, humilier. Son métier et ses réseaux ne sont pour lui que des terrains de jeu au même titre que les individus qu’il croise et il compte bien les essorer à fond. Ce happening permanent de connard providentiel rend le spectacle euphorisant. Filth ressemble à une espèce de comédie musicale, il est d’ailleurs accompagné d’une OST indélicate et grisante dans son contexte.

Radicalement excentrique, Ordure est un objet protéiforme, un torrent criard d’horreurs et de malveillances. Tout y est malpoli, clinquant et délectable. Une sorte de consultation vient interrompre les songes de Bruce, avec cet espèce de juge et conseiller, personnage issu d’un film de Terry Gilliam et passé en salle de shot avant de rejoindre le casting et délivrer sa parole omnisciente. Bruce Robertson est un de ces personnages bien psychosés, bien complets, comme il est difficile d’en créer. La performance de James McAvoy est impressionnante et très éloignée de son image : le petit académicien idéaliste du Dernier Roi d’Ecosse aurait été une merveilleuse alternative à Nicolas Cage dans le remake de Bad Lieutenant.

Succès mondial, le film a été repoussé en France et n’est finalement sorti que le 24 septembre 2014 en DVD, soit quasiment un an après le lancement de sa diffusion en Grande-Bretagne. Les professionnels de la profession ne semblent pas soucieux de relayer le phénomène, manifestement indifférents à sa fureur, sa qualité, ses provocations comme à son impact. Filth est en tout cas armé pour devenir un film "culte" mineur, donnant l’impression d’assister Le Locataire de Polanski passé à la moulinette d’un trip rococo et nihiliste. Grossier, unique.


http://zogarok.wordpress.com/2014/10/06/ordure/
Zogarok
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2014, Les meilleures comédies, Les meilleurs films sur la drogue, Les meilleurs films de descente aux enfers et Dog-eat-dog parade

Créée

le 5 oct. 2014

Critique lue 1.1K fois

5 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

5

D'autres avis sur Ordure !

Ordure !
Softon
8

Trancepotting

Adapté d’un roman d’Irvin Welsch à l’écriture du déjà bien barré Trainspotting, Jon S. Baird s’empare de ce récit pour livrer une œuvre complètement dingue, monstrueuse de sens et speed à souhait...

le 9 févr. 2014

35 j'aime

3

Ordure !
VictorHa
7

Quand est-ce qu'ils vont se bouger le cul à le sortir en France ?

Franchement, le film est déjà sorti partout ailleurs et nous, pauvres français, sommes obligés de passer par la case "piratage" pour pouvoir regarder ce long-métrage. Pourquoi ? A mon avis, le film...

le 26 févr. 2014

17 j'aime

Ordure !
Voracinéphile
4

Scotish bluff

Ordure est aussi agréable qu'un type intelligent qui vous crie dans l'oreille au milieu d'une boite de nuit. Ce n'est pas tant qu'il n'ait rien à dire (il y a même quelques séquences efficaces dans...

le 9 déc. 2014

16 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2