Pi
6.8
Pi

Film de Darren Aronofsky (1998)

C'est quand même pas n'importe quel film. Parce que l'ordre dans le chaos ; parce que les loquets ; parce que la cervelle ; parce que la Kabbale ; parce que la poésie dans les chiffres, ou partout là où on ne l'attend pas ; parce que l'exaltation vertigineuse de la chair humaine, petite et désespérément matérielle, qui comprend - le mental prend un souffle nouveau, d'un coup, brutalement, des portes s'ouvrent en grand, c'est toujours le même sentiment mais on ne s'en lasse jamais... sentiment auquel, entre autres, le film rend hommage. Rien que du très bien parti, tout ça. Alors, avant de lire ma critique virulente (hé oui !) et de me trouver snob & méchante & bobo & tout, songez SVP que le fond du film m'a touchée directement.

Alors oui, ce film rend hommage, de façon on ne peut plus romantique, aux grandes quêtes intellectuelles. Mais il n'en provoque pas franchement une. Il laisse une impression très désagréable, mais que je détaillerai vers la fin - d'où l'utilité d'en faire mention ici, comme si une chronique cinéma pouvait éveiller un quelconque suspense... Alors le pitch : un mec, génie solitaire, délirant, mathématicien, juif et migraineux (il cumule) est à la recherche d'une séquence dans les décimales de π. Cette - fort noble ! - activité, dont tout le monde se contrefout éperdument dans la vraie vie, va ici déchaîner les passions (il faut bien que le film raconte quelque chose) les plus absolues, le pire étant qu'elles sont justifiées, parce que les méchants ne rigolent pas du tout. Vous aussi vous croyiez que le monde des maths, c'était chiant, geek et plan-plan ? Vous étiez bien naïfs. Comme moi...

Le scénario tient en peu de choses, vous l'aurez compris, et encore je me suis éternisée pour pondre un paragraphe digne de ce nom. Faut pas compter dessus. Sur quoi compter, alors ? Il y a de nombreuses très bonnes choses dans ce film. Les thématiques, d'une. Bon, si vous n'en aimez aucune, ça va être difficile - ou pas, vous serez alors moins critique sur le sujet, peut-être. De deux, l'esthétique. Aronofsky aime les mouvements mécaniques qui font de jolis bruits, moi j'adore, chaque plan d'ouverture de loquet est jouissif. Des beaux loquets de métal lourd, photo en noir et blanc, brillants, les jolies boîtes de médocs, les petites pillules, la splendide seringue d'acier - waw. Beau. Ce qu'on retrouvera dans Requiem for a dream d'ailleurs ; puis du médical encore, en plus large, dans The Fountain*. Aronofsky aime les histoires de cerveaux détraqués et médicalisés, moi aussi. Question de goûts encore.

La musique ? Elle est pas mal. On sent des embryons de celles des deux films suivants - qui seront vraiment superbes. Pas mal mais pas toujours nécessaire, car le film souffre d'un excès de romantisme, ainsi les plages musicales épico-tragiques sur les crises de migraines font juste... lourd.

Ce qui ne va pas ? J'y viens. Le doublage, déjà. Oui, je regarde des films en VF, et alors, on n'a pas tout ce qu'on veut quand on veut, dura lex streamingi, sed lex. Le doublage est, donc, pourri. Mais bon, malgré tout, on voit bien que la base des personnages et acteurs n'est pas parfaite non plus... On a droit à la merdeuse de 10 an qui joue avec notre héros à "devine combien font 15144 x 2454", ce à quoi il sait répondre sans réfléchir : c'est ainsi l'occasion pour le cinéaste de nous faire réfléchir sur la condition difficile des génies, ha là là qu'est-ce qu'ils sont solitaires, ha là là qu'est-ce qu'on les prend pour des bêtes de foire... Ben oui mais toi aussi coco, tu te vautres là-dedans.

L'acteur principal, au demeurant plein de bonne volonté et d'une crédibilité acceptable, n'en reste pas moins imprégné des conceptions clichesques et convenues sur le surdon, il campe un personnage - mais ça n'est pas entièrement sa faute - sans ambiguïté, sans subtilité, pas drôle du tout, en un mot : caricatural. On n'échappe pas non plus au vieux sage philosophe qui a abandonné sa quête, ancien idéaliste devenu juste... vieux, sage et philosophe. Il a renié ses idéaux, tout ça tout ça. Contrairement à notre héros resté pur et fidèle, jusqu'à la folie peut-être? Mais la folie guette les intelligences suprêmes, toujours, c'est toutes les sempiternelles diatribes sur la frontière entre la sagesse et la folie, qui ne peuvent provenir que de personnes qui n'ont jamais vu vraiment ni l'une ni l'autre.

Je viens au problème principal du film. Aronofsky a voulu faire un film sur des sujets qui vraisemblablement le fascinent. Mais il n'a pas digéré sa fascination avant de le faire. Alors soit il manque de documentation sur les sujets abordés, de recul, de réflexion, d'analyse, d'observation. Soit il a voulu faire un film accessible au plus grand nombre, flatteur pour son public - ça fait bien de dire qu'on a aimé π ; ça fait bien de dire qu'on est fasciné par les maths et les génies solitaires - et compréhensible, peut-être aussi sous la pression commerciale (on peut tout imaginer, même si, malgré tout le snobisme dont je suis capable, je ne saurais raisonnablement dire que c'est un film commercial) aura-t-il sacrifié certaines choses plus complexes ; soit, il n'était tout simplement pas au niveau du film qu'il a voulu faire.

Il ne va pas plus loin que la fascination provoquée par les thématiques. Elle reste en l'état, sans prolongement, ça stagne. On voit bien que c'est ça qui cloche : le début du film est très prometteur, mais ça part en couilles, parce que ça ne part pas vraiment - ou dans des directions qui manquent d'éclat, ou d'originalité, ou d'intelligence. Ce n'est à l'évidence pas du tout un mauvais film, loin de là, mais c'est un film frustrant.
Soph_Que_Bon
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le 27 juin 2011

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Soph_Que_Bon

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