Pina
7.5
Pina

Documentaire de Wim Wenders (2011)

Présenté hors-compétition au festival de Berlin cette année, Pina s'impose comme une œuvre pionnière et innovante, le premier long métrage documentaire en 3D, mais aussi, tout simplement, l'un des premiers films d'art en relief. Hommage à la grande chorégraphe allemande Pina BAUSCH par le cinéaste Wim WENDERS – auteur, entre autres, des Ailes du désir et de Paris, Texas – Pina est un projet qui ne date pas d'hier et dont l'évolution, tantôt heureuse, tantôt tragique, a nourri la forme elle-même.

Ami de longue date de Pina BAUSCH, WENDERS voulait depuis leur rencontre réaliser un film qui permette de saisir l'intensité et la beauté de son travail chorégraphique, mais ne savais pas comment en exprimer toutes les possibilités artistiques. La 3D s'imposa alors comme le moyen providentiel, le seul ayant dans sa technique même la capacité de rendre justice à cet art de l'espace et du mouvement qu'est la danse. Mais Pina BAUSCH décéda le 30 juin 2009 à l'âge de 68 ans, juste avant les premiers essais en relief, et le film – dont l'idée de départ était d'accompagner la troupe en tournée à travers le monde, orientant l'inspiration vers d'autres cultures - devint un film « pour Pina », sur son regard si particulier vu par ses danseurs, l'Ensemble du Tanztheatre de Wuppertal.
Empreint de l'émotion suscité par la disparition de l'artiste, le film rend palpable cette douleur, cette tristesse, d'autant plus que le cinéaste lui-même la ressent. De la même façon que Pina BAUSCH demandait à ses danseurs de puiser dans leur inconscient et leurs expériences intimes, Wim WENDERS les invite à cristalliser les souvenirs et émotions relatives à Pina dans de petits tableaux dansés, des « soli ». A travers eux, la danse contemporaine s'émancipe, s'échappe de la scène pour s'inscrire dans l'espace urbain, faire corps avec lui et révéler, avec une certaine théâtralité propre à l'univers de Pina BAUSCH, le corps dans l'espace, dans sa solitude et sa chute éperdue autant que dans sa grâce et sa légèreté. Du bord de route à la piscine, du métro suspendu à l'immensité d'une nature paisible ou escarpée, les danseurs portent le poids d'un chagrin et l'héritage artistique radieux d'une chorégraphe, comme symbolisés par la robe rouge, véritable fil directeur qui achèvera sa course en prolongeant et portant un arbre naissant, passant ainsi de la douleur à l'espoir. La répétition presque poétique des motifs, l'harmonie et la frénésie de leurs mouvements forme un ensemble d'une beauté fulgurante. Nous assistons également à différentes scènes issues de quatre œuvres essentielles de Pina Bausch – Café Muller, Le Sacre du Printemps, Vollmond et Kontakthof, cette dernière étant présente dans ses trois versions, interprétée par la compagnie, par des sexagénaires amateurs ou encore par les adolescents déjà présents dans Les Rêves Dansants, documentaire sorti en 2010 dans lequel Pina Bausch travaillait avec eux sur ce spectacle. Le plus souvent filmées sur scène, potentiellement en direct, ces œuvres - outre leur beauté et leur intensité intrinsèque - acquièrent une forte symbolique, une tonalité grave au regard de la disparition de leur chorégraphe et de la parole mélancolique des danseurs. La beauté plastique et métaphorique de ces séquences est accentuées par l'utilisation des éléments naturels tels que la terre qui recouvre la scène puis sous laquelle, par effet cyclique, un personnage est enseveli, ou encore l'eau, cette pluie diluvienne qui ruissèle sur le rocher.
Les sons, les bruits, sont amplifiés et accompagnent les musiques diverses par leurs rythmes, nous rapprochent des danseurs, à l'instar de la caméra qui danse avec eux, parmi eux. Les plans restent assez longs et les scènes peu découpées afin de ne pas couper la dynamique du mouvement des danseurs. Bien que le film soit, d'une manière latente, très mis en scène cinématographiquement, Wim WENDERS s'efface devant l'art de ces corps et de cette pensée en mouvement, il les filme dans leur liberté et leurs errances instables, enveloppés dans un cadre artistique totalement maîtrisé.
Bien que des témoignages et quelques séquences d'archives montrant Pina BAUSCH à l'ouvrage soient présents, le film fait preuve d'une téméraire originalité, laissant la part belle à la danse pendant 1h43, et menaçant de ce fait de perdre en cours de route les spectateurs les moins enclins à apprécier la danse contemporaine. De fait, Avec Pina, WENDERS se refuse à tout didactisme : son but n'est pas de nous inculquer un savoir théorique sur la vie et l'œuvre de la chorégraphe, mais – aux côtés de ses danseurs – de lui rendre hommage intimement, personnellement, par la danse, sa danse.
L'usage de la 3D semble redonner vie à Pina BAUSCH par le biais de son art, les chorégraphies reprennent corps pour le cinéma et l'espace s'inscrit sur l'écran dans toute sa profondeur et sa densité. Projetant le spectateur sur la scène, le relief donne une vraie présence aux danseurs, les fait s'imposer dans leur mouvement continu et nous place au plus près des sensations physiques qu'ils dégagent : la danse n'est plus seulement visible, elle devient sensible. Ainsi, WENDERS arrive à rendre sur l'écran de cinéma la qualité de spectacle vivant qui est au cœur de la danse.

Hommage haut en couleurs à Pina BAUSCH, Pina est une œuvre émouvante et moderne, d'une grande beauté visuelle, qui ouvre de nouveaux horizons tant techniques qu'artistiques dans l'actualité plutôt monotone des films en relief, une voie, finalement assez peu explorée.
Elenore
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le 15 avr. 2011

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