Pique-nique géologique tragique, historique et (un brin) saphique autour d'un pic volcanique

"J'ai donné l'instruction à Mademoiselle qu'étant donné la chaleur, vous ôterez vos gants une fois que la voiture aura passé Woodend."

L'éducation rigoriste (anglaise ?) du collège de Appleyard est un des thèmes forts de ce film étrange. En creux, nous avons une des clefs possible du mystère. Mais, et c'est une des nombreuses qualités de la première partie du film, c'est loin d'être la seule.

Les 1001 pistes

Pas tant l'éducation en elle-même, d'ailleurs, puisque les (19?) jeunes filles du collège semble, en surface au moins, relativement épanouies et peu dupes de ce jeu cruel transmis depuis des générations. Mais aussi tout ce qui découle de cette éducation: une tension sexuelle constante (les jeunes filles s'effeuillent chastement avant de s'évanounir), à base d'amour contrariés ou interdits. Ceci se retrouve aussi chez les deux jeunes garçons qui croisent le chemin des futures disparues. L'un et l'autre, issus de deux conditions éloignés à l'extrême (mais qui n'empêche pas une forme de complicité) sont le produit d'un milieu, d'un système où la respiration se fait rare, phénomène parfaitement souligné par le climat étouffant du lieu et du moment.

L'histoire, s'inspirant d'un livre qui revenait lui-même sur un des faits divers marquant australien (et toujours non résolu à ce jour) ouvre toutes les possibilités d'explication dans une première partie qui, alliée à un côté envoûtant et évanescent, constitue un moment inoubliable.
D'une vingtaine de personnes parties pique-niquer autour d'un éperon volcanique, trois ne reviendront jamais et personne ne saura jamais ce qui est arrivé. 111 ans après, le mystère reste entier. Plus incompréhensible: deux personnes ont vécu de plus près ces disparitions mais n'en ont gardé aucun souvenir.

Fantastique (le temps s'arrête), psychologique (Miranda semble savoir plus que les autres ce qui va arriver), géographique (les failles sont nombreuses), sociologique (on revient sur le côté fermé et oppressant d'une éducation donc le pic d'Hanging Rock peut être un des seuls lieu libérateur), toutes les pistes sont proposées, et c'est au spectateur de se faire une opinion (une religion ?).

Les 1001 réactions

La deuxième partie, post disparition donc, explore la psychologie de ceux qui vécurent ou accompagnèrent ce moment incompréhensible.
Là encore, de forts beaux moments et de très réussis portraits. D'une Miss Appleyard au chignon surréaliste, aux amies des disparues, jusqu'aux auteurs des recherches (comment qualifier l'attitude du chef de la police locale dans ce mélange de détachement, d'indolence et de recul, on le sent dépassé par la portée de l'évènement), les masques tombent, les personnalités se révèlent (magnifique Sara, souffre-douleur digne jusqu'au bout) la réalité brutale impose à chacun de confronter les principes d'une vie archi-codée à sa vérité intime, et personne n'en sortira indemne.

Les images et la musique servent admirablement cette ambiance hypnotique (et que j'arrive à dire ça de quelque chose interprété par Zamphir, constitue un petit exploit).

J'achèverai cette critique en citant la très belle critique de Danielle Chou, à la non moins superbe conclusion:

"Pique-nique à Hanging Rock est à l'image de ce cygne, la moitié d'un cœur, un éternel point d'interrogation, mais aussi de cette fleur effarouchée qui se replie sur elle-même dès qu'on la touche: d'une majesté hypnotique et d'une infaillible beauté".
http://archive.filmdeculte.com/culte/culte.php?id=197
guyness
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Peter, weir do you go ? et Beauté sauvage à Perth de vue

Créée

le 23 juin 2011

Critique lue 3.9K fois

86 j'aime

8 commentaires

guyness

Écrit par

Critique lue 3.9K fois

86
8

D'autres avis sur Pique-nique à Hanging Rock

Pique-nique à Hanging Rock
Lehane
10

I know that Miranda is a Botticelli angel.

Il y a des films que l'on a l'impression d'avoir attendu toute notre vie et qui, dès lors qu'on les voit, apparaissent comme une révélation, comme s'ils comblaient un vide. Pique-Nique à Hanging...

le 16 juin 2013

71 j'aime

13

Pique-nique à Hanging Rock
JimBo_Lebowski
9

Les montagnes hallucinées

Ayant loupé ce film sur Arte il y a quelques années dont le pitch et quelques extraits m’avaient fasciné je le regarde enfin après avoir retrouvé ce fichu titre (encore merci à Irishman), c’est donc...

le 19 mars 2015

59 j'aime

6

Pique-nique à Hanging Rock
Gand-Alf
9

Petites filles perdues.

Le cinéphile un brin péteux que je suis parfois appréhende chaque nouvelle découverte avec l'enthousiasme d'un randonneur assoiffé face à la Coulée du Grand Bronze, persuadé de n'assister qu'à un...

le 5 août 2013

44 j'aime

10

Du même critique

Django Unchained
guyness
8

Quentin, talent finaud

Tarantino est un cinéphile énigmatique. Considéré pour son amour du cinéma bis (ou de genre), le garçon se révèle être, au détours d'interviews dignes de ce nom, un véritable boulimique de tous les...

le 17 janv. 2013

343 j'aime

51

Les 8 Salopards
guyness
9

Classe de neige

Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme...

le 31 déc. 2015

314 j'aime

43

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

296 j'aime

141