Playtime par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Que se passe-t-il donc pour notre Monsieur Hulot? Il est à Orly sagement assis seul dans un hall désert et aseptisé où un homme de ménage tente une timide apparition. Puis soudain désordre, cohue, bousculade. Un avion vient d'atterrir , larguant son flot de passagères américaines bruyantes visitant une capitale par jour. C'est ainsi qu'elles vont découvrir un semblant de salon d'exposition de gadgets ménagers, les buildings et le Paris des strass de la fête et des embouteillages. Notre Monsieur Hulot se laisse alors fortuitement entraîner dans cette jungle et profite de cette occasion pour rencontrer par hasard un vieux copain ayant réussi dans la vie. Il se laissera séduire également par l'une des charmantes touristes américaines et terminera la soirée en créant une série de catastrophes dans un restaurant ouvert à la hâte malgré d'importants travaux. Après cette effervescence, on présume que Monsieur Hulot reprendra sa petite existence bien plus calme, tout au moins on le suppose.


La scène finale du film précédent de Jacques Tati: " Mon oncle ", préfigure la continuité de la migration de Monsieur Hulot vers le monde des buildings, des gadgets, de la société de consommation et surtout de l'uniformité. C'est ainsi que dans cette chronologie, "Playtime" en est la suite logique. Notre héros nous montre sa gêne, sa maladresse, en gros son manque d'adaptation dans une société déshumanisée, sans âme et uniforme. Dans cette étape à Paris de ce tour des capitales, seul Monsieur Hulot apporte une note de fantaisie par son anticonformisme notoire. En effet toutes les villes visitées par ce petit groupe de touristes sont identiques, les aéroports se ressemblent, les buildings sont identiques, les avenues connaissent les mêmes embouteillages, les salons ménagers sont tous aussi ridicules dans leurs présentations de "dernières trouvailles à la mode" et les restaurants tous aussi arnaqueurs avec leurs "menus internationaux". Tout semble pourtant être un progrès, une petite révolution. Ce n'est en fait qu'une illusion car tout finit par se retourner contre les consommateurs. L'ennui naît de l'uniformité mais Monsieur Hulot qui, lui, est resté authentique avec sa logique implacable traverse ce monde monotone à grandes enjambées et avec une certaine ironie. C'est une société triste et d'autant plus inquiétante que nous décrit Jacques Tati que le moindre dérapage, le moindre éternuement ou la moindre fantaisie dérègle tout ce système et toutes les règles établies de cette société unique et archi-sophistiquée mais en fait ô combien fragile.


Dans ce film, Jacques Tati continue de nous faire entrer dans un cadre urbain futuriste rappelant curieusement le quartier de La Défense. Monsieur Hulot ne crève pas l'écran. Il n'apparaît que par petites touches, parcimonieusement, mais cela suffit pour que notre homme devienne un trublion en changeant sans le vouloir le cours des évènements de façon inattendue, déclenchant par là-même notre sourire. Et puis le réalisateur continue inlassablement son observation des gens qui l'entourent, il se moque d'eux, voir de nous et de nos habitudes avec une extrême minutie. C'est là que se pose peut-être le problème de l'échec cinglant de cette réalisation à sa sortie en salles. Ce film dure 126 minutes et c'est trop. Malgré tout le talent des acteurs, l'originalité, le réalisme du thème et les attitudes humoristiques de Monsieur Hulot et de ses comparses, le temps paraît très long. Il y a tellement d'observation et de minutie pour le moindre détail que cela finit par lasser le spectateur. Les scènes du salon des expositions ou du restaurant-dancing durent une éternité et notre attention s'évapore. Le public n'a pas "mordu" à cette satire et a boudé ce film à gros budget qui ruina Jacques Tati. Pourtant celui-ci se trouvait tellement dans la réalité par son propos que l'on ne peut que regretter ces longueurs qui coûteront finalement très cher au réalisateur.


Dommage, tout démarrait bien dans l'atmosphère aseptisée de l'aéroport d'Orly mais cette "aventure" parisienne s'éternise malgré d'excellents passages et gags très réussis tel ce splendide final où l'on voit sur un rond-point une masse de véhicules prise dans un embouteillage monstre. Ils tournent autour de ce rond-point tel un manège en action le tout rythmé par une musique de fête foraine. En fait, étant admiratif par la force de l'oeuvre de Jacques Tati, je reste indulgent pour ce film "précurseur" en ne gardant en mémoire que les bons moments... et ils restent nombreux!


En prime, je vous présente le film PLAYTIME. Bonne séance !
http://www.youtube.com/watch?v=_6s1BGAkKgQ

Grard-Rocher
8
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Créée

le 26 févr. 2014

Modifiée

le 25 mai 2013

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