Comme il y eu "La Bandéra" de Julien Duvivier pour Jean Gabin, il y a "Plein Soleil" de René Clément pour Alain Delon. Ce grand classique du film noir, c'est la naissance d'un mythe. Le mythe Delon.
24 ans à l'époque du tournage du film, l'acteur, quasi-débutant, innonde la pellicule de son aura charismatique, sensuellement magnétique.
D'ailleurs la force du film, tient en grande partie, à cette ambiguïté fascinante, renforcée par l'étonnante modernité du jeu de l'acteur, admirablement dirigé par René Clément. Beauté hors-norme, talent hors-norme. Une star naît devant nos yeux.
Le choix de l'acteur a certainement été intelligemment pensé par le réalisateur pour incarner Tom Ripley, héros criminel de romans de Patricia Highsmith.
Le physique de l'acteur et sa charge érotique, contraste avec la froideur, et la perversité cynique du personnage. Symbolique de l'Eros et du Thanatos, René Clément fait de son Tom Ripley un ange de la mort séducteur et amoral, a qui tout le monde pourrait donner "le bon Dieu sans confession".
Par moments, on a même l'impression, qu'il s'agit d'une sorte de documentaire sur Delon lui-meme. La scène du marché de poisson (caméra portée à l'épaule), divers plans sur le bateau, les gros plans sur son regard ou des cadrages plus larges mettant en valeur le corps et les gestes du personnage qu'il incarne, donnent l'impression que la caméra est amoureuse de l'acteur et/ou du personnage...
En fait au-delà de l'ambiguïté voulue par René Clément au sujet de Delon/Ripley, qui fait baigner le film dans une atmosphère vénéneuse, sensuelle et mortifère, il y a une description subtile et réaliste d'un monde de privilégiés, qui n'a pour but que de jouir des plaisirs de la vie, sans véritable but. Un monde de superficialités et d'apparences dominé par l'argent. L'argent et le pouvoir qu'il procure qui pourri tout les rapports humains. Pouvoir qui attire irrésistiblement Ripley, et qu'il envie intensément.
D'ailleurs, la façon dont Gégauff et Clément ont dirigés leur écriture montre que la relation entre Tom Ripley et Philip Greenleaf (Maurice Ronet), part de ce postulat en y insufflant une dose de rapports d'attraction- répulsion sado-masochiste. On se demande si finalement le plus cruel des deux n'est pas forcément Greenleaf en voulant rabaissé continuellement Ripley. Sorte de jeux du chat et de la souris, où le plus privilégié se sent plus fort et dominant... Greenleaf n'est pas vraiment sympathique sous ses dehors de jouisseurs éxubérant et narcissique. En fait le regard posé sur l'humain et les rapports humains, fait de René Clément un grand pessimiste. Il en perçoit ses aspects les plus sombres (cf aussi à ses précédents films: Les Maudits, Monsieur Ripois, Gervaise, entre autres). Avec ce film, il n'a rien a envier à Alfred Hitchcock ou à Henri-Georges Clouzot. Ils font jeu égal.
Ce qui surprend aussi c'est l'impression forte que Greenleaf/Ronet, finit par se livrer comme une sorte de victime sacrificiel quasiment consentante... Car il ne fait rien pour arrêter Ripley. Jeux duquel il pensait peut-être se sortir vainqueur. Jeux de dupes. Jeux dangereux.
Formidable interprétation de Maurice Ronet et ses scènes avec Delon font des étincelles.
Autre contraste de taille, la photo éclatante d'Henri Decäe, l'une des plus belles qui m'a été donné de voir au cinéma. Ce choix de René Clément, rompt volontairement avec l'atmosphère des films Noirs américains. Cela contribue fortement, avec la beauté de Delon, à donner au film une force d'attraction évidente. La maîtrise du travail sur les cadrages et les couleurs magnifie les acteurs et l'Italie. Paradoxalement, cette volonté esthétique est aussi là pour "refroidir" le film, le rendre plus "glacial" comme l'est Tom Ripley, Les scènes les plus belles étant à bort du Voilier, avec une Mer Méditérannée, qu'elle soit agitée ou calme; d'un bleu azur éclatant comme les yeux d'Alain Delon ou ceux de Marie Laforêt, filmés comme si l'on plongeait dedans.
En somme, un film d'une modernité étonnante en tous points: mise en scène, cadrage, photo, montage, jeu de Delon et de Ronet, écriture et adaptation, la musique de Nino Rota. Bien plus moderne que certains films de la Nouvelle Vague naissante, qui ont mal vieillis. Ironique, car les Truffaut et Godard "tapaient" régulièrement sur le travail du réalisateur, qu'ils rangeait dans la case "qualité française". "Plein Soleil" démontre qu'ils se trompaient.
Film qui fait de René Clément, un grand maître du cinéma français et mondial. Aujourd'hui, peu de réalisateur français ont une telle maîtrise technique et scénaristique de ce niveau. Si, Jacques Audiard, Arnaud Desplechin ou Xavier Giannoli... j'en oublie certainement!
Seul petit bémol, la fin différente du roman de Patricia Highsmith, moins cynique, et plus morale par René Clément. Mais cela ne nuit pas du tout à la cohérence et à la force du film.

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