Princesse Mononoké
8.4
Princesse Mononoké

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1997)

Comment sortir indemne du visionnage de ce film quand on a dix ans ?
Une telle violence, un tel choc esthétique, ça ne pardonne pas et ça marque pour longtemps l'âme du cinéphile en herbe qui le découvre.
Mononoke Hime n'est pas mon préféré dans l'œuvre de Miyazaki, mais il arrive juste derrière Mon voisin Totoro qui ne sera jamais détrôné dans mon cœur. Les deux chefs d'œuvre m'ont également marquée mais d'une manière bien différente.
Je crois d'ailleurs que ce film est à l'origine de ma fibre écologiste. C'est pas peu dire !
C'est quand même dingue quand on y réfléchit, ce qu'on peut devoir à une œuvre de cinéma ou de fiction en général sans que l'on s'en rende forcément compte.

Que personne ne crie au scandale avant d'avoir fini la lecture de mon texte, jamais je ne réduirais Mononoke à une "simple" fable écologique. Ca l'est en partie bien sûr mais c'est tellement plus. La fable est ici moins synonyme d’un récit aux intentions moralistes que la promesse d’une exploration où tous les éléments, qu’ils soient matériels, humains ou végétaux, possèdent le statut de personnages à part entière qui influent sur un tout. Au spectateur de choisir sa voie et de faire un choix parmi le foisonnement de détails sur ce qu'il veut en retenir.
Les niveaux de lecture sont démultipliés et aucun point de vue n'est imposé et s'ouvrent ainsi les portes de l'imaginaire de chacun.
Comme à chaque fois chez le maître, les enjeux tendent à l'universalité et fait écho chez tous et n'est pas l'apanage d'une poignée de privilégiés initiés. Miyazaki parle à tous et à tout le monde. Ce qui séduit le grand enfant dans ce film, c'est le mélange réussi et équilibré de réalisme pur et de fantastique. La légende côtoie la reconstitution historique pour que l'on y croie plus volontiers et que l'on s'identifie à cette époque dépeinte à savoir le Japon médiéval. Le surnaturel apparaît dans les moments les plus "terre à terre", et personne ne s'en étonne. Cela fait partie du quotidien et c'est la norme voulue par le créateur. Cela fait la force de l'histoire racontée.
L'œuvre nous plonge dans le matérialisme. L'eau, la terre, le feu, la forêt, le fer, la roche sont des personnages du film. Les éléments telluriques et biologiques sont personnifiés et cohabitent plus ou moins bien avec l'être humain.
Là se joue l'enjeu majeur de Mononoke : la rencontre de forces opposées mais consubstantielles.

La nature contre l'industrialisation, l'humain contre l'animal, le terrestre contre le divin, la beauté et l'horreur, la poésie et le pragmatisme, le bien contre le mal... Mais attention, le génie tient en ce que rien n'est manichéen. On retrouve d'ailleurs en Ashitaka, un peu de Luke Skywalker. Le personnage pur qui lutte contre sa part d'ombre et donc contre lui-même, sa personnalité intérieure. Ce manichéisme trop fréquent dans les films pour enfant on ne peut que le réfuter dès les premières images avec la vision de cet animal démoniaque qui détruit tout sur son passage.
Là, on sent que le ton est donné, Miyazaki ne s'adresse pas uniquement aux moins de sept ans et il réclame une connexion cérébrale active. Ce Dieu sanglier symbolise toute la schizophrénie de l'univers proposé par le film. Animal pacifique qui se bat pour sauvegarder son territoire tué par ceux (les humains) qui le lui ont volé puis transformé en boule de haine destructrice... Ainsi, avec toute l'intelligence qui le caractérise, Miyazaki ne montre pas une société moderne maléfique, des progrès uniquement destructeurs mais il prône un respect pour tout ce qui est vivant afin de mieux vivre ensemble dans une harmonie. Il n'y a aucune naïveté dans le propos défendu ici et c'est ce qui le rend aussi riche et propre à la réflexion. San incarne la force transgressive qui va se transformer et se pacifier pour favoriser l'harmonie et le fait que la love story tant redouté soit supplantée par un sentiment de respect mutuel et de complicité infaillible rend encore plus attachant ce magnifique animé. La force et la pugnacité de la guerrière en lieu et place d'une princesse à la plastique avantageuse y joue pour beaucoup.
Là, Ashitaka se rend compte qu'il n'a pas affaire à n'importe qui et qu'elle va pouvoir lui apporter énormément s'il prend la peine de s'y arrêter. Le dégoût qui aurait pu surgir de la vision de cette "princesse" qui suce le sang de sa louve-mère est remplacé par la curiosité et ne laisse la place à aucun angélisme.

Le nombre d'intrigues, de lieux, de personnages ; la richesse de cet univers font que les 2H15 ne se sentent pas écouler. Le spectateur sort de l'aventure chamboulé mais n'a jamais regardé sa montre.

En cadeau, pour ceux et celles qui m'ont fait l'honneur de lire jusque là
https://www.youtube.com/watch?v=-Dpqy4x5PQk
la magnifique partition de Joe Hisaishi...

Edit janvier 2015 : Je me suis pris une sacrée claque en le revoyant en Blu-Ray ! Mon dieu la qualité de la copie, des couleurs, de la lumière. Franchement quel travail extraordinaire. L'image est somptueuse, éclatante et la bande son vertigineuse.
Rawi
9
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le 24 nov. 2014

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Rawi

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