Princesse Mononoké
8.4
Princesse Mononoké

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1997)

Il est temps de se lancer dans les critiques les plus difficiles, celles où il est impossible d'être raisonnablement subjectif, celles qui sont associées à des souvenirs d'enfance forts. Il est souvent plus facile de pointer les défauts et de descendre les films critiqués que de réussir à produire un avis positif, tout comme il est difficile de porter un regard juste sur des œuvres qui nous ont marqué ; que soit en bien ou en mal.


Mon premier Ghibli. J'ai vu ce film pour la première fois au cinéma en version originale sous-titrée en sixième alors que j'avais onze ans. Je ne peux que remercier le programme "collège au cinéma". Je ne m'en souviens pas clairement mais j'ai du prendre une bonne claque. Car justement c'est que le souvenir de ce film est resté aussi fort après sept années passés sans le voir. Je l'ai revu sans le découvrir, comme une chose à la fois familière et lointaine. Un peu comme un ami que l'on perd de vue et dont on a l'impression de l'avoir quitté la veille malgré le laps de temps écoulé.


Avant de le voir je me souvenais d'une aventure onirique, de la lutte fratricide entre la Nature et l'Homme. Ashitaka me donnait le souvenir d'un personnage parfaitement neutre, opposé à l’extrémisme de Mononoke et sa meute, ainsi qu'à celui de Dame Eboshi. Les déités sylvestres m'ont également laissé un très fort souvenir ; le Dieu Cerf avec sa face anthropomorphe et parfaitement placide, les maracasses sylvaines, les sangliers fous furieux ainsi-que l'agonie sanglante du vieil Okkoto, sans oublier la folie furieuse de Nago, le cynisme pragmatique incroyable de la louve Moro et l'agilité impétueuse des "louveteaux". Tous ces points étaient encore relativement flous, mais au fur et à mesure du visionnage l'ensemble m'est revenu limpide. Les personnages secondaires étaient plus vagues, si le bonze m'a marqué il est bien le seul. Le reste des intervenants me donnait une impression de figuration, avec chacun un rôle précis et déterminé mais ayant du mal à passer au dessus du simple faire-valoir de ce rôle. Le monde de la Nature était dans mon souvenir d'une beauté luxuriante, froide et impartiale totalement à l'opposé à celui des Hommes d'une grossièreté certes rustique mais plus chaude et gouvernée par les passions. Enfin je ne pensais pas comme ça quand je l'ai vu, c'est après une bonne prise de recul que ces impressions me sont venues. Du coup, une fois le film lancé, les souvenirs remontent par blocs ; la vision d'un certain élément servant de stimulus.


C'est avec l'attaque d'une sorte de créature rampante et tentaculaire que le film commence. Le premier combat est spectaculaire et introduit magistralement le personnage d'Ashitaka. Le héros parvient à défaire du kami corrompu, un énorme sanglier nommé Nago, au prix de la transmission de sa malédiction. Celle-ci se nourrit de sa haine et le rend plus fort, mais le gangrène au fur et à mesure, ce qui le promet à une mort certaine. Il s'exile donc du village pour trouver la cause du mal qui le ronge. Après la mort de l'entité démoniaque, sa chair se putréfie instantanément et il laisse seulement une mystérieuse pierre que le chaman identifie comme la cause de son mal. Il part donc en voyage avec son bouquetin/cerf Yakuru, avec qui il entretient une complicité parfaite. Sur son chemin, après avoir découvert la force que lui procure son bras, il croise un bonze qui semble bien au courant de ce qu'il cherche et le dirige vers une forêt sacrée. Ce bonze est un des personnages les plus énigmatiques de l'histoire et joue souvent sur plusieurs tableaux avec un pragmatisme déconcertant. Par contre une chose m'a également fortement étonné, c'est une représentation de la violence vraiment inhabituelle chez Miyazaki : les membres s'envolent de manière outrancière pour souligner la force exceptionnelle de son bras.


On assiste ensuite à la rencontre, indirecte, entre Mononoke et Eboshi lors d'une attaque de convoi par la meute. Ce sont des femmes fortes, mais diamétralement opposées. Mononoke représente la nature, le côté sauvage du monde et ne se considère pas comme humaine. Eboshi est une femme foncièrement humaine qui croit fort au progrès et pense la nature néfaste aux homme, d'ailleurs son objectif et de tuer le Dieu-cerf qui incarne tout ce qu'elle exècre. Ashitaka va, à l'image de leur confrontation directe qui aura lieu plus tard, s'intercaler entre ces deux individualités. Il refuse la destruction de la nature tout comme Mononoke et respecte l'humanité d'Eboshi. Par cela il s'oppose fermement à l’affrontement destructeur entre l'Homme et la Nature ainsi qu'à toute forme de haine. Il ne répugne cependant pas à tout recours à la force, mais celle-ci doit être motivée par des raisons justes comme pour mettre fin à une situation violente. Après la première attaque de Mononoke et des ses loups, Ashitaka récupère deux blessés en contrebas et traverse avec eux la forêt sacrée, apercevant un autre symbole fort de ce film : le Dieu-cerf. Celui-ci représente aussi une totale neutralité mais complètement à l'opposé de celle du héros ; la sienne est aussi impitoyable que celle d'Ashitaka est compatissante. Cela est notamment matérialisé par ses pas, qui donnent et reprennent systématiquement. Les paroles du héros à la fin du film décriront d'ailleurs parfaitement cet état de fait.


Après cette traversée il finira de raccompagner les deux blessés aux forges, leur village (un château sur une île au milieu d'un lac), suscitant la suspicion par sa traversée de la forêt qu'ils craignent tant sans le moindre effroi et son absence d'explication sur ses intentions. Dame Eboshi prendra quand même le temps de lui présenter le village et en particulier son jardin secret où sont fabriquées les armes à feu du village. Celle-ci identifie d'ailleurs la pierre trouvée dans Nago comme le projectile qu'elle a tiré sur Nago alors qu'elle lui disputait le contrôle de la montagne. Moro, la déesse-louve, en a d'ailleurs reçue une lors de l'attaque du convoi au début. Après s'être rapidement plutôt bien intégré, on voit Mononoke qui tente une attaque en pleine nuit dans le but de tuer Eboshi. Celle-ci l'affronte en combat singulier. C'est là qu'Ashitaka, après avoir révélé ses pouvoir, intervient. Il s'interpose en les empêchant de bouger, les assommes puis repart avec la jeune louve dans une séquence assez incroyable avec laquelle il a fortement gagné en charisme. Oui, même si les effets numériques de son bras sont particulièrement laids. Cela sera d'ailleurs la position d'Ashitaka tout le film : il va tout faire pour essayer d'empêcher les différents camps de s'écharper. Il croit en une cohabitation des hommes et de la nature, comme le montre son osmose avec sa monture. Cela correspond à la mentalité de l'endroit d'où il vient, un petit village isolé et en bonne entente avec son environnement.


Une fois ces différents éléments en place et les principaux enjeux le récit peut enfin décoller. Mononoke rend la pareille à Ashitaka qui a fini sérieusement blessé à l'issue de son non-combat et tente de le sauver en le confiant aux soins du Dieu-cerf. Ce dernier le sauve dans une séquence mémorable où l'on découvre enfin sa face si particulière, placide et hypnotisante. D'ailleurs à cause de son côté plus impartial que bienveillant (il soigne Ashitaka car il juge qu'il a encore un rôle à jouer) j'ai du mal à voir une fable écologique dans ce film. La thématique est présente, c'est indéniable, mais la Nature n'est pas présentée comme telle. Par contre cela met en garde l'avidité de l'Homme, qui en veut trop et finit par provoquer une catastrophe en allant trop loin. Après on a droit à une des meilleures séquences du film, avec le petit speech de Moro. Celle-ci est dotée d'un cynisme et d'un sens de la répartie à toute épreuve, tout en montrant son attachement à sa "fille". C'est également dans cette partie que l'on découvre les véritables intentions du bonze Jiko : il veut ramener la tête du Dieu-cerf à l'empereur, qui la convoite car il la croit capable de lui conférer l'immortalité. Par ailleurs c'est à ce moment là que l'on voir pour la première fois la faction complète des sangliers ainsi-que leur vieux leader Okkoto qui veulent attaquer frontalement les humains et que l'on apprend la décision d'Eboshi de porter le coup fatal à la forêt en aidant Jiko.


Ashitaka va encore une fois se retrouver dans son rôle habituel de diplomate. Après avoir été constaté par lui même le massacre lors de la bataille entre les hommes et les sangliers il tente d'aller aider les villageoise qui défendent le village. Car oui le film donne une place importante aux femmes, celle-ci y sont forte et on une importance capitales. Ce sont elle qu'Eboshi utilise pour défendre les forges de l'attaque du shogunat. Elles travaillent dans des conditions difficiles et raillent souvent les hommes pour leur faiblesse et leur manque de fiabilité. C'est là que Eboshi et Jiko déconnent. Ils finissent par trouver le Dieu-cerf, malgré le fait que Mononoke tente d'aller avec le chef des sangliers au lieu de villégiature du Dieu-cerf et tente de les empêcher d'agir, Eboshi lui arrache la tête d'un coup de fusil alors qu'il prenait sa forme nocturne (un géant bipède gélatineux). Et là ça commence à sentir très mauvais : il se transforme d'abord en gelée mortelle qui tue la majorité des personnes présentes et arrache un bras à Eboshi (elle qui voulait couper celui d'Ashitaka...) pendant que Jiko file à l'anglaise avec sa tête. Reprenant une forme de titan visqueux étêté, le colosse cervidé court après sa boîte crânienne et finit par menacer Jiko en mode "What's in the box?" alors qu'il est arrivé au niveau du lac où se trouvent les forges, à proximité Ashitaka. Il est suivi par Mononoke et les deux amoureux platoniques réussissent à récupérer la boîte et se sacrifient pour rendre sa tête au tas de gelée ambulant.


Il tombe ensuite et avant de toucher l'eau du lac crée une onde de souffle qui fait revivre la forêt au niveau des montagnes ravagées par les hommes. Le colosse sirupeux n'a pas tué les deux héros et a même ôté toute trace de malédiction sur leur corps. Ashitaka décide de rester vivre aux forges et Mononoke ne peut le suivre à cause de son aversion pour les actes des autres humains. On peut supposer que la présence d'Ashitaka et la leçon qu'a subie Eboshi suffira pour que le village ne fasse pas les mêmes erreurs en maltraitant et pervertissant leur environnement. Les singes le montrent bien, ils sont tellement envahis par le ressentiment qu'ils veulent manger Ashitaka pour avoir sa force et battre les humain. Au final tout manichéisme a été refusé dans le film, aucun des personnages n'est montré comme foncièrement mauvais. Leurs actions sont parfois plus que discutables mais néanmoins toutes guidées par des raisons explicitées. Eboshi tue le Dieu-cerf car elle le pense néfaste aux homme, Mononoke tue les hommes pour protéger ce qu'elle chérit, Jiko est une sorte de mercenaire qui refuse toute action idiote et pense rationnellement sans se laisser guider par ses passions (il a le rôle de "sage", certes loin d'être exempt de défauts mais particulièrement lucide ; il évitera bien entendu de trop se rapprocher du divin cervidé)...


Cet excellent film de Miyazaki porté par un symbolisme fort, un message riche et une animation somptueuse, des thèmes percutants et une bande-originale remarquable m'a laissé et me laissera le souvenir d'une œuvre particulièrement intense et intéressante. Bien plus riche et profuse qu'il n'y parait, beaucoup n'y voient malheureusement qu'un simple conte écologique, ce qui serait sérieusement diminuer toute la complexité de monument de l'animation. On peut lui trouver quelques défauts, comme le manque de développement de certains personnages, de rares effets informatiques particulièrement immondes, une traduction française parfois hasardeuse, sa ressemblance avec Nausicaä ou même le caractère assez redondant d'Ashitaka mais ce serait clairement pinailler.


Keep calm, now let's go hunting !

Brad-Pitre

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