Déception (de 2012), j'écris ton nom

Il y a des films que je m'attends à détester, et pour lesquels je prends presque plaisir à voir se confirmer ma vague impression de départ : pour ces films, finalement la déception n'est pas vraiment de la partie, c'est plus une lassitude liée au fait que "ce que l'on craignait est arrivé".
Le souci, c'est que je m'étais bien préparé à adorer Prometheus. Un film qui sur le papier avait beaucoup de choses pour lui : Ridley Scott, dont le nom sera à jamais lié à ses excellents Alien et Blade Runner en dépit des navets imbuvables qu'il a pu réaliser par la suite ; Noomi Rapace, actrice qui monte et qui, je trouve, joue plutôt bien ; Michael Fassbender qui lui est purement excellent partout où il passe, portant des films qui ne seraient rien sans lui (Shame, au hasard...). Bien que les bande-annonce, après réflexion, en dévoilaient beaucoup trop (un vrai problème d'aujourd'hui à ce propos, d'autant que la bande-annonce qui balance tout le film, je trouve que c'est une manière de prendre l'éventuel spectateur pour un gros con qui voudrait être absolument sûr de ce qu'il va voir, fin comprise), le marketing était vraiment bien fait, ce qui excitait admirablement l'imagination et l'impatience du public cible, dans je fais partie.
Un prequel d'Alien ? Trop cool, en plus ça efface l'ardoise de la série, qui commençait à partir en sucette dangereusement. Pas un prequel d'Alien ? "Tant mieux, j'aime les mystères, et puis Scott est une valeur sûre dans la science-fiction, le mec t'a quand même signé la meilleure adaptation de K. Dick de tous les temps"...

Malgré la présence de Damon Lindelof au scénario, malgré l'épisode "Cowboys contre Envahisseurs" qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille, je ne me suis pas suffisamment méfié. J'étais de toute manière vraiment en dèche de films spatiaux (j'adore ça, mais visiblement je fais partie de cette minorité de 5000 personnes en France qui achètent des livres de SF dans la collection Lunes d'Encre, voyez), donc aveuglé par mon besoin d'un fix. Et puis j'ai aimé Lost, donc je pouvais me dire que Lindelof n'était pas complètement manchot (surtout qu'il doit aimer la SF, puisqu'il ne fait que ça).

J'avais tort. Lindelof nous a refait le coup de Cowboys contre Envahisseurs, et si c'est un désastre moins complet c'est probablement parce Scott est quand même un meilleur réalisateur que Favreau. Les similitudes sont grandes en effet : casting alléchant, trailer alléchant, concept alléchant (oui, moi le pitch de CcE ne me choquait pas, je fais partie de ces gens qui espèrent secrètement que "Abraham Lincoln : Chasseur de vampires" peut tout à fait être un film honnête), en fin de compte plombé par un scénario copieusement débile, un rythme aux fraises et un fort sentiment d'occasion manquée.

Alors comprenez-moi bien : Prometheus a quand même des choses pour lui. Le générique est magnifique et en général l'image est splendide. Les acteurs principaux sont bons (même Theron, oui, bien qu'elle soit clairement là pour faire joli et ne sert pas à grand chose). La 3D relief est réussie (j'aime la 3D. Mes yeux moins). Les effets spéciaux déchirent la gueule, comme disent les djeuns - on a vraiment atteint un palier impressionnant, on y croit pour de bon, même si de rares moments ont encore un côté fake (les "Ingénieurs" surtout, avec leur peau visiblement en plastique mat façon sculpture de la Tate Modern).
Quelques scènes sortent du lot aussi et rappellent le bon vieux temps du huis clos horrifique d'Alien premier du nom (alors que Prometheus souffre d'un vrai déficit d'ambiance, d'âme, et de tension) : les scènes avec Fassbender seul (en particulier la première, dans le vaisseau) qui joue le robot comme personne, la scène joyeusement dégueulasse de la mort du biologiste et du géologue (que j'apellerai dorénavant "les deux idiots") et surtout, moment de gloire du film, (SPOILER) cette géniale scène d'auto-chirurgie / auto-avortement par le personnage de Rapace, atroce mais très bien vue, relevant presque de l'éclair de génie car apportant quelque chose de fort au filon "métaphore sexuelle / maternelle" de la série (/SPOILER).

Alors qu'est-ce qui ne va pas ? Déjà, le fameux manque d'ambiance, en dépit de la débauche de moyens. Surtout, les incohérences et imbécilités du scénario. Attention les yeux, si vous ne l'avez pas vu je vais maintenant vous gâcher tout le film, mais il le faut : je dois détailler les raisons pour lesquelles ce film est un peu (sérieusement) con.

- Au début du film, on voit un "Ingénieur" se sacrifier pour offrir son code génétique à la Terre, et "créer les êtres humains". Okay, mais expliquez-moi comment ça marche : moi aussi je veux créer la vie en jetant mon ADN dans une cascade. Surtout que d'après mes vieux manuels de SVT l'homme est apparu en Afrique, pas vraiment en Ecosse...

- S'ensuit une scène massivement spoilée par le trailer, la découverte de peintures préhistoriques par les deux scientifiques du film : deuxième scène, deuxième scène qui ne sert pas à grand chose, bravo. Seulement, tout cela n'est encore rien comparé à ce qui va suivre...

- Les choses commencent donc à sérieusement mal tourner quand on découvre certains personnages, et qu'on assiste au briefing de la mission. On comprend mal comment certains ont pu embarquer dans un tel périple (tant on sait que devenir astronaute actuellement est quelque chose de très difficile, qu'il convient d'avoir passé de nombreux tests physiques et psychologiques et qu'on voit mal pourquoi, en 2093, ça aurait changé).
Pire, il semble parfaitement débile que le briefing pour une mission aussi coûteuse et exigeante ait lieu à ce moment, juste avant l'arrivée du vaisseau à destination. J'ai ressenti la scène comme un authentique trou de scénario en mode "au fait, j'ai oublié de vous dire".
Quant à la "présence" de Theron dans l'hologramme, "l'appel" celui-ci aux deux scientifiques principaux, tout cela est un peu embarrassant. Si un jour on développe des holos, je doute qu'on leur "obéisse", ça m'a fait du coup à peu près le même effet que quand Dora l'exploratrice invite les gamins à parler devant leur téléviseur, le matin sur TF1.

- De la façon dont ils sont présentés, assez peu subtilement, on devine presque tout de suite que la chambre médicale du vaisseau va servir, et que le vieux PDG est vivant et dans le vaisseau. Vous ne trouvez pas ?

- La scène de l'atterrissage est très belle, mais complètement improbable. Nos explorateurs spatiaux arrivent au hasard sur la fameuse lune qui est leur destination, et ils tombent tout de suite PILE sur LA base alien qu'ils cherchaient ("Dieu ne fait pas des lignes droites", merci pour ce dialogue très intelligent, en passant). Pure magie de l'aiguille dans la botte de foin, alors que le premier Alien avait eu le bon goût d'expliquer la localisation rapide du vaisseau alien par un "appel de détresse"...

- Plusieurs trucs idiots à l'arrivée dans la ruine extraterrestre :
Premièrement, le lancement des espèces de modules de "scan" des parois, non seulement activés par un personnage idiot et bruyant (ce sera vite confirmé) mais bruyants tout courts, ce qui semble une idée assez peu intelligente dans un environnement inconnu, peut-être hostile.
Puis le coup du "j'enlève mon casque parce que c'est respirable" me semble extrêmement difficile à avaler, parce que 1) "respirable" ne veut pas dire que l'air ne contient pas de toxines inconnues, ce que notre ami DEVRAIT prendre en compte s'il était malin, et 2) personne ne sait alors ce que contient la ruine. Personnellement, quand je me promène dans un lieu inconnu, sombre et potentiellement dangereux, je préfère être protégé le mieux possible.
A noter aussi qu'on ne sait pas où ils posent les casques par la suite, et qu'on voit mal comment une 'atmosphère artificielle' peut être créée alors que la ruine n'est pas hermétique vis à vis de l'extérieur.

- Quand l'équipe débarque dans la fameuse salle "avec la tête de l'affiche dedans", ce n'est pas beaucoup mieux. Juste avant, la réaction de peur des deux idiots est évidemment monstrueuse de connerie immature ("moi j'aime les roches", "je boude", avant même de découvrir ce que renferme la salle, sérieusement...). Une fois entrés, les savants restants voient bien que la salle est biologiquement active, mais ils s'en foutent. Et mettent un bordel assez impressionnant, en s'en foutant aussi. De vrais biologistes trépigneraient de joie en voyant des vers de terre sur Mars, hein, sachez-le...

- La tempête de "sable" qui oblige les scientifiques à regagner le Prometheus est anticipée extrêmement tardivement. Puis elle n'endommage pas du tout le vaisseau alors qu'elle semble contenir de sérieux morceaux de roche, de gravats en tout genre, et qu'elle est clairement très violente...

- POURQUOI les deux idiots, qui avaient visiblement peur, ne sont-ils pas rentrés au vaisseau ?

- La contamination du scientifique principal par David l'androïde est purement gratuite. Pourquoi fait-il ce qu'il fait ? On veut nous faire croire qu'il en veut à toute la race humaine, ou que c'est juste par curiosité ?
D'ailleurs les faits et gestes de David sont étrangement peu surveillés, il faut un peu ce qu'il veut quand il veut, n'est jamais dénoncé par quiconque même quand certains se doutent - ou SAVENT - qu'il n'est pas innocent.

- Je profite de ce passage pour dire qu'en vérité tous les personnages sont moyennement cohérents, moyennement logiques, et qu'ils sont tous suffisamment mal écrits et caricaturaux pour être parfaitement oubliables - sauf le robot, et encore. Un peu ballot...

- Les deux idiots font encore preuve de leur belle idiotie en ne fuyant pas tout de suite la salle où ils découvrent la première véritable créature alien de la planète, tandis qu'il est absolument improbable que personne au vaisseau ne les surveille (le Black est totalement irresponsable, voire aveugle et sourd, et ses deux copilotes ne sont là QUE pour la vanne un peu nulle du "pari").

- "Brûle-moi avec ton lance-flamme, je suis sûr que ma meuf ne t'en voudra pas du tout. C'est un peu un meurtre mais il le fallait, tu vois, elle comprendra tout de suite."

- "Tu touches mon crucifix, je te casse le bras". Le personnage de Rapace est assez grossièrement bigot et tout le film prend parfois des accents religieux plutôt malvenus. Pourquoi David, d'ailleurs, est-il fasciné par la religion à ce point - même si on peut à la rigueur comprendre qu'il soit fasciné par ces humains qui "croient" ? Pourquoi se balade-t-il avec la croix de la scientifique sur lui ?
Comment fait-il pour entendre Rapace et lui parler à la fin du film alors qu'il n'est pas dans sa combinaison (enfin, pas entièrement...) et que jamais on n'a sous-entendu qu'il était équipé de "micros internes" ?

- En parlant des combinaisons, vous remarquerez qu'elles sont partielles (les personnages sont mains nues), non pressurisées, plus façon tenue de plongée que d'astronaute. Encore et toujours : pourquoi ? Assumer que la planète sur laquelle ils débarquaient était à température ambiante, pression terrestre, c'est profondément crétin...

- Deux choses sur la scène d'auto-chirurgie. Elle est splendide certes, mais :
1) pourquoi la machine chirurgicale, si perfectionnée, si chère, n'est-elle prévue que pour les hommes ? A ce niveau de perfectionnement, il doit y avoir moyen d'opérer les deux sexes, surtout que manuellement, Rapace y arrive.
Et 2) pourquoi un "poulpe" ? Il n'y a pas de "poulpe" dans Alien, et à ce propos ceci est une vraie critique sur la cohérence biologique de tout ce petit monde extraterrestre. Comment le dit poulpe fait-il pour rester en vie alors "qu'il n'était pas à terme" et qu'il a été "décontaminé", et grossir si vite, de surcroit, et pourquoi (le mot phare de cette critique, bien malheureusement, avec le champ lexical de la stupidité) devient-il une sorte de facehugger énorme alors que le facehugger est d'habitude de la taille d'un visage ?

- "Kikoo, je suis le milliardaire et je suis toujours en vie". Peu crédible : on a donc embarqué secrètement certaines personnes dans le vaisseau, en espérant, dans un espace aussi restreint, que ça ne se verrait pas. Oui...

- "Salut mon vieux, on te réveille de ton sommeil de 2000 ans, on ne sait rien de toi, tu peux penser qu'on te veut du mal, mais on espère que tu seras de bonne humeur et que comme ça, cash, tu nous raconteras le mystère de la vie". Oui aussi...

- J'ai bien aimé la reprise du design du tout premier vaisseau alien du tout premier film, l'explication de la forme du poste de pilotage (et les révélations sur la physionomie des Space Jockeys, notamment celle nous apprenant qu'ils portent souvent des casques). Il est bizarre néanmoins qu'après le crash notre alien se relève si vite et s'oriente vers le module de secours du Prometheus (ejecté à la fin du film), comme ça, pour déconner.

- L'Ingénieur / Space Jockey résiste d'ailleurs un peu trop bien au facehugger géant évoqué précédemment, surtout quand on sait (si on a vu ne serait-ce qu'Alien premier du nom) qu'un homme de bonne constitution résiste moins d'une poignée de secondes à la version "normale"...

- Concernant le sacrifice du Prometheus pour "sauver l'humanité". Là aussi, c'est un peu court, jeune homme. Et très mal amené. La scène va trop vite : d'un seul coup, pouf, c'est sacrifice time, temps de l'héroïsme américain (sauf pour Theron, qui meurt bien sûr comme la vile lâche qu'elle est). Ensuite, détruire UN vaisseau alien quand les Ingénieurs en possèdent vraisemblablement tout un tas, ça ne sert franchement pas à grand chose. Et puis si les Ingénieurs voulaient détruire la Terre, ils l'auraient fait avant. Ah non : "ils ont changé d'avis". Ou pas. Ou en fait si. Peut-être ben que oui, peut-être ben que non.

- Pour conclure, même la fin est assez douteuse :
1) Pourquoi vouloir se suicider aux bras d'aliens qui ne sont clairement pas amicaux ?
2) "Il y a d'autres vaisseaux" : donc potentiellement, d'autres Ingénieurs endormis. Comment les deux survivants s'en sont-ils débarrassés ? Personne ne sait.
3) Pourquoi trimbaler le corps de David s'il fonctionne avec sa tête uniquement ?
4) Pourquoi l'alien qui, dans les dernières secondes, sort du cadavre de l'ingénieur, est-il déjà de belle taille et de couleur noire quand normalement les "bébés" Alien sont blancs et petits, avant leur "mue" ?

Voilà pour les raisons. Admettez qu'elles sont conséquentes. Lindelof : tu es mauvais. J'espère que quelqu'un va s'en rendre compte avant que tu ne saccages d'autres films de science-fiction.
Kalès
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le 31 mai 2012

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