Quai des Orfèvres est un excellent film noir français réalisé par Henri-Georges Clouzot, coécrit par Jean Ferry d'après le roman Légitime Défense de Stanislas-André Steeman... qui met en scéne dans le Paris de l'après-guerre, Jenny Lamour (jouée par l'excellente Suzy Delair) une jeune chanteuse trop ambitieuse qui fait parfois usage de ses charmes, notamment auprès d'un vieillard libidineux influent, un certain Georges Brignon (joué par l'excellent Charles Dullin), pour se faire une place dans le milieu du music-hall.... Mais elle est l'épouse de Maurice Martineau (joué par le génial Bernard Blier) un homme (pourtant brave type) trop possessif qui profère par jalousie des menaces de mort envers le septuagénaire, qui est retrouvé assassiné peu après... l'inspecteur-chef adjoint Antoine (joué par le superbe Louis Jouvet dans son plus beau role) un flic désabusé et humain du Quai des Orfèvres (l'adresse de la police judiciaire), est chargé de l'enquête.... Après L'assassin habite au 21 (Adapté du même nom auteur le belge Stanislas-André Steeman) et son superbe Corbeau... le cinéaste frappé, à la Libération, d'une interdiction de travail à vie revient, grâce à l'intervention de personnalités comme Pierre Bost, Jacques Becker ou encore Henri Jeanson qui signe un texte corrosif « Cocos contre corbeau », à la réalisation et remporte plusieurs récompenses aux festivals de Venise, de Berlin et de Cannes avec Quai des Orfèvres en 1947 (où il offre pour la dernière fois un rôle à sa compagne Suzy Delair)... Après les ennuis que lui a occasionné Le corbeau à la Libération, Henri-Georges Clouzot dut attendre plusieurs mois avant d’entreprendre le tournage de Quai des Orfèvres, dont l’accueil triomphal, public et critique, devait confirmer sa place de premier plan dans le cinéma français. Sous le prétexte d’une intrigue policière assez banale (adaptée d’un roman mineur), le film est une étude de mœurs implacable doublée d’un polar rondement mené. La dimension criminelle de l’intrigue n’apparaît en fait qu’au bout de trente minutes : la longue exposition dépeint sur un ton léger l’existence de la chanteuse Jenny Lamour (Suzy Delair) et de son pitoyable époux compositeur (Bernard Blier). Le spectateur est alors balloté entre un subtil vaudeville et le terrain élégant de la comédie musicale. Entre deux scènes de jalousie que lui fait subir « son biquet », Jenny déploie ses talents lyriques sur la scène d’un music-hall et l’exquise Suzy Delair se livre à un numéro mémorable, fredonnant une ritournelle (Avec son tralala) qui restera célèbre dans les annales de la chanson. Et pourtant, on sent déjà la noirceur chère à Clouzot au détour de répliques cinglantes, une noirceur qui prendra le dessus dès l’assassinat de Brignon (Charles Dullin), l’odieux industriel. L’arrivée du cynique et désabusé Inspecteur Antoine (Louis Jouvet, impérial), et l’enquête policière qui s’ensuit, donneront en effet une prédominance dramatique à l’intrigue, en dépit d’un humour noir récurrent. Le pessimisme de Clouzot est alors manifeste à travers une description de l’arrivisme professionnel, des mesquineries conjugales ou des bassesses des puissants... Pourtant, rien de manichéen dans cet univers désenchanté, le couple Martineau/Jenny étant en fait sauvé par l’amour. Et c’est en l’amour que semble seulement croire le cinéaste, qu’il soit entre époux, extra-conjugal, ou filial. Et là, le scénario présente d’audacieux détours pour l’époque : l’Inspecteur Antoine exerce sa fibre paternelle auprès d’un petit garçon noir qu’il a adopté, seul, à son retour des colonies. Et quand il assène à Dora (Simone Renant), la photographe, qu’elle est un type dans son genre, c’est bien une allusion à l’homosexualité de la jeune femme. Contournant la censure de son temps, Clouzot se risque même à dénoncer les violences policières, avec une scène peu conforme aux schémas des polars alors en vigueur. Au-delà de la finesse du scénario, on soulignera la qualité picturale de l’œuvre. La photo d’Armand Thirard et les décors de Max Douy ne sont pas pour rien dans la fascination de ce film d’atmosphère, influencé par l’expressionnisme, mais qui établit aussi des correspondances avec le film noir américain alors en plein essor. Précisons enfin que tous les interprètes sont parfaits, jusqu’au moindre petit rôle : de Pierre Larquey en chauffeur de taxi qui refuse de moucharder à Raymond Bussières et Robert Dalban en minables malfrats, en passant par Jeanne-Fusier-Gir, Claudine Dupuis, Arius, Blavette ou Sinoël, un échantillon inspiré de la galerie des « excentriques » du cinéma français défile sous nos yeux... enfin bref, pour son troisieme long métrage, Monsieur Henri-Georges Clouzot signe un second chef d'oeuvre... une grande enquête criminelle, du cinéma français d’après-guerre, ou Louis Jouvet, Suzy Delair et Bernard Blier y trouvent leurs meilleurs rôles.