L’Homme est incapable d’être honnête avec lui-même. Il est incapable de parler honnêtement de lui-même sans embellir le tableau."



Vérité et réalité s'affrontent dans une oeuvre tout en clair obscur, depuis le soleil qui perce, éclatant, à travers les arbres de la forêt dans des scènes dont la beauté laisse pantois, à la pluie diluvienne qui s'abat sur cette "Porte des démons", symbole semble t-il de la noirceur humaine, où trois pauvres hères, dont un bûcheron et un moine, ont trouvé refuge.


Qui a tué Takehiro, ce riche seigneur de guerre qui escortait sa femme dans la forêt inondée de lumière ?
Qui a violé Masago, visage caché aux regards sous le voile blanc de son large chapeau, qui passait, apparition radieuse sur sa fière monture, vision presque irréelle, ne pouvant qu' exciter la convoitise de l'homme fruste, le bandit de grand chemin, Tajomaru, le bien nommé?


Des versions différentes et contradictoires vont donc nous être livrées, et peu importe à vrai dire de connaître La Vérité ô combien fluctuante, car chacun a la sienne : du bûcheron témoin mû par la peur, à la veuve qui se drape dans une dignité qui la grandit, n'ayant pas supporté, dit-elle, le mépris affiché dans le regard de son époux, ou encore l'aveu du coupable idéal, l'accusé qui n'a plus rien à perdre : Tajomaru sous les traits déformés du grand Mifune, s'enorgueillissant dans un rictus infernal, d'avoir triomphé d'un samouraï, lui volant son épouse et le dépouillant de son honneur.


Le défunt en personne, convoqué grâce à une femme chaman, n'hésite pas à diaboliser Masago, niant le viol : "jamais je n'avais vu son visage aussi radieux", s'accusant, tenaillé par la honte, d'avoir mis fin à ses jours.


C'est à une formidable exploration de l'âme humaine, de ses méandres et de ses contradictions, que Kurosawa nous convie, et au travers de chaque personnage empêtré dans ses paradoxes et la complexité changeante de ses sentiments, il nous renvoie face à nous mêmes, à nos bassesses et notre hypocrisie, mais aussi à ces moments de grâce qui font la grandeur de l'homme, fût-il puissant ou misérable.


Et comment oublier à cet égard le visage de ce bûcheron miséreux et pitoyable, menteur et voleur, tenant dans ses bras, ému et recueilli, le nouveau-né abandonné, lueur d'espoir dans ce monde de brutes tandis qu'un soleil timide apparaît enfin dans un horizon redevenu clair.

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le 30 oct. 2012

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le 30 oct. 2012

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Aurea

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