De toute notre âme, de toutes nos forces, on aimerait pouvoir défendre ce cinéma radical, fantasque et presque fou. Fou de liberté et de poésie, tranquille sur les chemins de traverse, les échappées belles. Ce cinéma salvateur qui manque pas mal en France où l’on préfèrera conventions et frilosité. Et Alain Guiraudie l’incarne à merveille, ce cinéma, lui qui, depuis ses débuts, se plaît à ne pas faire comme les autres, à filmer comme on bricole, avec passion et maladresse, avec les moyens du bord, loin vers des terres peu explorées. On aimerait donc, mais on ne peut pas. Quand on découvre ce Rester vertical pénible et désolant, on ne peut pas.


Pourtant c’est une histoire qui avait de quoi surprendre, emballante c’est vrai, ou comment un scénariste vagabond, enclin à aimer les filles comme les garçons, se cherche entre scénario à écrire, envie de voir le loup et désir à revendre (pour cette bergère, pour ce drôle d’éphèbe croisé sur la route ou ce fils qu’il aime à tenir dans ses bras, à avoir près de lui). Emballante cinq minutes, c’est vrai, et puis après d’un ennui lourd. Rester vertical est à l’image de ce héros insipide qui ne semble être intéressant que sur le papier. À l’écran, il n’est qu’une silhouette dégingandée qui n’exprime pas grand-chose (Damien Bonnard, figé dans sa diction et ses mouvements, n’arrange pas les choses) et inspire encore moins : pas un instant on ne vibre, on ne s’émeut, on ne ressent. Ressentir que dalle, voilà.


À défaire sans cesse la structure narrative de son film qui avance à la façon d’un marabout bout de ficelle (par raccord de plans, par ellipses, par paysages à géométrie variable, de l’architecture brestoise aux causses sauvages), Guiraudie en accentue le côté étrange et décalé jusqu’à le réduire à un gadget, une intention trop marquée, trop voyante, et qui tombe à plat. Le rythme du film s’en trouve affecté, chaotique et mal fichu ; Guiraudie dynamite (et ça c’est plutôt bienvenu), mais ne sait pas reconstruire ensuite. D’où ce sentiment de désarroi (et de lassitude) que dégage le film et dont il n’arrive jamais à se débarrasser, jusqu’à cette scène finale magnifique qui, évidemment, arrive bien trop tard.


Perdu quelque part entre Pasolini et Bruno Dumont, Rester vertical échoue à donner chair à cette quête du renouveau de l’existence (être père), à sa réappropriation et son maintien décisif, debout face aux autres et aux dangers. Les quelques débordements transgressifs qui ont pu faire jaser (origine du monde, accouchement in situ, sodomie et vit vigoureux) le sont à peine, donnant l’impression d’abord de rajouts inutiles pour souligner que oui, Guiraudie a toujours l’érotisme hardi (mais ça, on l’avait compris depuis un moment). À l’inverse, il est ici morne et triste, et le film est morne et triste aussi, conte moderne, terrien et atypique qui, en parlant de vit, finit par se mordre la queue.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Flop bof 2016

Créée

le 29 août 2016

Critique lue 1.4K fois

16 j'aime

4 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

16
4

D'autres avis sur Rester vertical

Rester vertical
B-Lyndon
9

Droit devant les loups

On aime Guiraudie parce qu'il est seul, parce qu'il est seul à faire un cinéma qu'il ne devrait pas être seul à faire - celui de la poésie. Et encore une fois, il s'y tient, il fait un vrai film de...

le 24 août 2016

20 j'aime

1

Rester vertical
Fritz_Langueur
1

Loup y es-tu ?

En sortant de "L'inconnu du lac", je m'étais promis de surtout ne plus aller voir un film de Guiraudie, tant, je n'ai pas peur des mots, je m'étais impérialement emmerdé ! Et puis, parce que nous...

le 7 janv. 2017

18 j'aime

16

Rester vertical
mymp
2

Causse toujours

De toute notre âme, de toutes nos forces, on aimerait pouvoir défendre ce cinéma radical, fantasque et presque fou. Fou de liberté et de poésie, tranquille sur les chemins de traverse, les échappées...

Par

le 29 août 2016

16 j'aime

4

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

163 j'aime

13

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25