Il est rare qu'un film nous happe dès les premières images. Rêves d'or est de ceux-là. De la première à la dernière scène, jusqu'à ce dernier plan magnifique, le premier long-métrage de Diego Quemada-Diez nous prend et ne nous lâche pas.

Sara se coupe les cheveux et se bande les seins. Juan coud quelques billets enroulés dans la ceinture de son jean. On mesure l'urgence de leur départ, le besoin impérieux de partir, cette force qui les pousse à quitter leur bidonville, le Guatemala, ce "rêve d'or" qui va les propulser vers le nord. Bientôt rejoints par Chauk, indien Tzotzil qui ne parle pas espagnol, ils vont prendre les trains en marche, avancer, avancer encore, sans renoncer. Ils ont 16 ans. Ils veulent une vie meilleure.

Chaque jour de l'année, sans discontinuer, des centaines d'hommes et de femmes traversent le Mexique sur les toits des trains. Chaque jour ces hommes et ces femmes exposent leur vulnérabilité au pouvoir de la police, des milices armées, de malfaiteurs en tous genres prêts à profiter de leur misère. S'ils échouent, certains recommencent, repartent, échouent encore peut-être, baissent les bras, repartent. Tout le monde le sait. En Amérique Centrale, au Mexique, aux États-Unis. Tout le monde.

Fruit d'années de préparation et de recherches, construit sur de multiples témoignages, Rêves d'or résulte de la volonté de son réalisateur de faire cohabiter documentaire et dramaturgie dans le même film. S'il atteint admirablement son objectif, on ne peut que saluer [en plus du reste, pourrait-on dire] la puissance de sa mise en scène, et son admirable direction d'acteurs.

Tourné chronologiquement, en Super 16, sur la base d'une trame écrite sans que les comédiens connaissent le scénario à l'avance, s'enrichissant chaque jour de leurs improvisations et des "recadrages" des figurants eux-mêmes migrants, Rêves d'or avance sans faillir, se nourrissant de lui-même, puisant son énergie dans ses propres réserves sans cesse renouvelées. Il n'est rien de dire qu'il nous emporte avec lui, qu'on partage avec Sara, Juan et Chauk bien plus qu'une expérience cinématographique.

Film d'aventure ne souffrant d'aucune baisse de rythme, toujours relancé par des ressorts narratifs sidérants, jamais faciles, tournant systématiquement le dos à tout sensationnalisme, récit initiatique d'une rare beauté, film bouleversant avant tout, Rêves d'or transcende son sujet par sa puissance humaniste.

Les trois jeunes comédiens sont merveilleux. Karen Martinez, Brandon López et Rodolfo Dominguez se donnent sans compter et offrent à leurs personnages toute la beauté, la rage et la candeur de leur jeunesse. Admirablement encadrés par Diego Quemada-Diez, ils sont pour beaucoup dans la réussite du film.

Brut et incroyablement maîtrisé, trésor d'énergie et de rage de vivre, Rêves d'or s'impose comme l'un des films les plus complets, les plus profonds et les plus beaux de l'année.

> Film vu en avant-première et en présence de Diego Quemada-Diez, passionnant, dans le cadre du 35e Festival des 3 Continents de Nantes (>>>). Rêves d'or a obtenu le Prix Un certain talent au Festival de Cannes 2013, sélection Un certain regard.
pierreAfeu
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le 24 nov. 2013

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pierreAfeu

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