Avec « Rocco et ses frères », Visconti s’intéresse cette fois-ci au destin d’une famille du peuple, une mère et ses cinq fils du sud de l’Italie migrants à Milan pour se dépêtrer de la misère rurale. Si leurs débuts sont difficiles, c’est un tout autre problème que la pauvreté qui va secouer les personnages, transformant leur rêve d’une vie meilleure en terrible tragédie….


Divisé en différents chapitre mettant chacun l’accent sur un frère en particulier (sans délaisser les autres), le film décrit des personnages variés et opposés, comme souvent chez Visconti. Ainsi, Rocco a beau être au centre du récit, il n’est pas le personnage principal, puisque cette famille forme un tout, dont chacun des fils est un pilier indispensable. La première partie montre leur introduction dans la vie urbaine, précaire, mais ils acquièrent peu à peu le respect des autres et une certaine renommée. Si l’un se marie tant bien que mal (la belle-famille n’est pas d’accord) avec une milanaise, c’est particulièrement Rocco et Simone dont on suit les péripéties, notamment dans le monde de la boxe. Cette ascension aux championnats du ring étant évidemment synonyme d’ascenseur social. Mais ce n’est pas aussi facile, et c’est quand tout semble aller pour le mieux que se dessine le drame à venir. Rongé par l’orgueil et la jalousie, l’un des frères commet l’irréparable, bouleversant l’équilibre familial et déchirant à jamais une fraternité qui semblait pourtant immuable.


Rocco, en éternel optimiste, va tout tenter pour arranger les choses, quitte à faire quelques sacrifices (et pas des moindres). Si c’est ce frère qui se démarque le plus, c’est précisément parce qu’il fait fi de ses intérêts personnels pour recoller les morceaux. Et il est le seul à penser que la déchéance de leur frère Simone peut s’inverser pour que tout redevienne comme avant. C’est ici que deux idéologies s’affrontent : tandis que Rocco veut sauver à tout prix Simone, ses deux autres frères veulent l’éjecter, le sortir de l’équation qu’on en parle plus. A l’heure où un pays déficitaire comme la Grèce pourrait être abandonné des autres états européens, cette problématique développée par Visconti est fichtrement actuelle. Si le personnage de Rocco est particulièrement touchant durant le film (Alain Delon est éblouissant), celui de Nadia, l’objet du conflit familial, l’est encore plus. Terrorisée par sa destinée, elle tente de s’accrocher à l’un et l’autre des deux frères antagonistes, jusqu’à être la principale victime de ce duel fratricide. Annie Girardot joue son rôle à la perfection, à l’image de cette scène où une seule larme coule lentement sur sa joue, dans un champ-contrechamp magistral.


Visconti prouve une fois de plus qu’il maîtrise parfaitement l’écriture de ses films, livrant ici un triangle amoureux dévastateur amenant à une réflexion plus profonde.


Ma critique du film "Le Guépard" :
http://www.senscritique.com/film/Le_Guepard/critique/38349391


"Mort à Venise" :
http://www.senscritique.com/film/Mort_a_Venise/critique/50471595


"Nuits Blanche" :
http://www.senscritique.com/film/Rocco_et_ses_freres/critique/40850127


"Les Damnés" :
http://www.senscritique.com/film/Les_Damnes/critique/50471608


"Violence et passion" :
http://www.senscritique.com/film/Violence_et_passion/critique/50471583

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le 1 juil. 2015

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Marius Jouanny

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