Peter Brook dira sur son adaptation du roman culte de William Golding : « Tout ce que je voulais, c'était une petite somme d'argent. Pas de scénario, juste des enfants, une caméra, et une plage. » En apparence relativement anecdotiques, ces quelques paroles du metteur en scène (qui est avant tout un metteur en scène de théâtre en passant - Sa Majesté des Mouches sera d'ailleurs l'un de ses seuls films qui ne soit pas adapté d'une pièce) résument toute l'ampleur de son film. Presque inutile de résumer l'intrigue, tant l'entrée dans le conscient collectif de cette oeuvre en a fait un roman que tout le monde devrait connaître - mais comme on est gentil on usera de quelques lignes pour faire le résumé de Sa Majesté des Mouches : après le crash de leur avion sur une île déserte, des jeunes écoliers anglais organisent une société rudimentaire. Malheureusement, après quelques jours, tout vole en éclat et la société tribale et violente qui la remplace sera sans pitié.
Si l'oeuvre a souvent été assimilée (surtout en France) à de la littérature enfantine - il n'en est en faite rien. Autant que le film de Brook que le livre de Golding sont des oeuvres profondes délivrant une vision désespérée de la nature humaine - et aussi une analyse de notre société bancale. Reproduisant de manière exceptionnellement fidèle le bouquin d'origine, le film de Brook en porte les mêmes qualités scénaristiques : d'un réalisme terrifiant, aux dialogues profonds et à la morale amorale - on est prit dedans sans s'en rendre compte. Certaines répliques, déjà présentes dans le bouquin, comme le mythique "You let the fire go out !" vous résonne dans la tête pendant tout le film - surtout que Brook a énormément misé sur le naturel de ses jeunes acteurs, accentuant le dérangement que provoque le film.

Mais là où le format cinématographique prend une tournure encore plus intéressante que dans le bouquin, c'est dans la représentation visuelle des évènements. Tout s'illustre brutalement pour les lecteurs du livre - la dureté, la malsanité des évènements n'en est que plus présente. D'autant plus que les acteurs sont irréprochables, d'un naturel, d'un charisme dont - j'ai beau cherché - des enfants acteurs n'ont que très rarement égalé la performance. On pense bien sur à James Aubrey (qui est en passant décédé des suites de maladie il y a deux ans - paix à son âme), l'acteur principal, dont le Ralph est la représentation parfaite du héros du livre de Golding. Tom Chapin est terrifiant en Jack / Chef, d'autant plus lorsqu'il porte son maquillage. On évitera de retracer tout le casting dans les moindres détails. Disons juste que le quintette mythique des personnages principaux (Ralph - Jack - Porcinet - Roger - Simon) est irréprochable.
A première vue la réalisation de Brook est pourtant très classique - c'est plutôt dans ses longs plans fixes, son atmosphère terriblement noire (accentuée de nos jours par la présence du noir et blanc - pas réellement un parti pris de mise en scène à l'époque), la simplicité de l'ensemble (lorsque Brook parle d'une plage, des enfants et une caméra il n'a pas réellement tort - le crash de l'avion est représenté par une série de photos). Le dernier quart du film est de ce point de vue sensationnel - prenant, tendu, délivrant une sorte de tension si imperceptible, si sous-entendue qu'elle en devient si terrifiante que Sa Majesté des Mouches pourrait tendre vers le cinéma d'horreur.

Symboliquement parlant, Sa Majesté des Mouches ne trouve que peu d'égales - on pourrait analyser le film pendant des heures, chaque évènement, chaque personnage, chaque élément - certain vont m'aime jusqu'à l’assimiler à de la représentation freudienne. Quoi qu'il en soit il est évident que le film - qui reprend de ce point de vu beaucoup de choses du bouquin - est à double tenant : oeuvre dérangeante par son réalisme, et menaçante de par son propos. Si bien que le film prend des allures indescriptibles - sans être parfait techniquement puisqu'il n'y a au final aucune technique, sans être parfait scénaristiquement puisqu'il n'y a au final aucun scénario - c'est pourtant ici une oeuvre colossale du cinéma et de la littérature. Unique en son genre, véritable et à résonance universelle.
Alors bien sur, comme chacun se doit de l'entendre, film déconseillé aux gosses - oui le casting est intégralement composé d'enfants, et oui des gamins sur une île déserte ça peut paraître amusant. Pourtant Sa Majesté des Mouches est l'une des oeuvres les plus noires et les plus pessimistes que l'on peut voir dans une vie de cinéphile.

Si ce n'est pas déjà fait, on ne pourra que vous conseiller de vous jeter sur Sa Majesté des Mouches immédiatement. On aime ou on aime pas (comme la plupart des films qui font réfléchir), mais on ne peut que s'agenouiller devant la portée et l'intelligence d'un film qui marque littéralement. Unique en son genre, unique de part son propos et la forme qu'il emploie. Alors certes le film aurait encore été meilleur si il n'avait pas été l'adaptation d'un bouquin, mais qu'importe - on ne gâche pas notre plaisir. Un must-see sans aucun doute possible.
Vivienn
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le 4 nov. 2013

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