Avec Pulp fiction, voici la palme d’or la plus rock’n’roll du Festival de Cannes (la première scène de Sailor et Lula met directement dans l’ambiance, sanglante, outrée et tapageuse), probablement parce que Lynch et Tarantino explorent et dynamitent chacun les archétypes de la pop culture américaine, très loin d’une certaine distinction, d’une certaine préférence auteuristes généralement prisées par ce festival. Lynch rend également hommage aux immenses figures mythologiques du cinéma hollywoodien (et plus tard, à nouveau, dans son chef-d’œuvre rêvé Mulholland Drive), figures motrices, matrices, qui hantent et obsèdent son film en partie déglingué : road movie, couple en cavale, femmes fatales, tueurs patibulaires, grands espaces et romantisme exacerbé.

Toute cette imagerie légendaire (jusqu’à celle du Magicien d’Oz) sert à construire et codifier le film qui n’est, en définitive, qu’une bluette effrénée, folle histoire d’amour déjanté où deux innocents au cœur pur s’adorent absolument face au Mal et s’aiment totalement face à la mort, noirs ennemis grimaçants représentés de façon grotesque et irréelle (la mère hystérique de Lula, les sbires de Santos, l’ignoble Bobby Peru). Lynch s’amuse comme un fou, accumule, saccage, infantilise son film qui ne pourrait être qu’une frasque exubérante s’il ne se passionnait tant pour ses deux héros candides, Roméo et Juliette de l’Amérique des ploucs entraînés dans une spirale de sexe et de violence. Il n’oublie pas, non plus, de "faire" de grandes scènes lynchiennes terrifiantes, hypnotiques, qui marquent et ont marqué son cinéma de l’étrange : l’accident nocturne sur le bord d’une route, la mise à mort de Johnnie Farragut ou le "viol verbal" de Lula par Bobby Peru (et sa "magnifique" décapitation au fusil).

Plus que tout, ce qui semble définir entièrement Sailor et Lula est le désir, sa notion et sa matérialisation effectives, sensuelles jusque dans son atrocité. Désir(s) de Lynch pour ses personnages, pour le cinéma et ses idoles, son folklore et son histoire, désir aussi qui, constamment, embrase les deux amants, désir physique, passion désinhibée, enfantine, incarnée précisément par ces flammes dévorant sans cesse l’écran cinémascope. Entre gore et cartoon, conte de fées et baroque monstrueux, Lynch mélange les genres et les émotions, ouvrant pleinement les portes de son univers imprévisible pour laisser voir la quête sans limite d’un amour et d’un absolu démultipliés.
mymp
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le 22 sept. 2012

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