Cette critique contient quelques spoilers mineurs concernant l'intrigue.


Malgré un démarrage très convenu et pas hautement passionnant, la première réalisation de Shim Sung-Bo (accompagné de son acolyte Bong Jong-Ho avec qui il a officié au scénario) réussit le tour de force de coller le spectateur à son siège pendant 90 pleines minutes tout en enchaînant les retournements de situation les plus improbables. Passé un milieu de métrage redistribuant l'intrigue de manière inattendue et pour le moins radicale, Sea Fog dévoile en effet tout son potentiel en s'engageant sur la voie des vénérables films d'horreur hollywoodiens des années 1980.


Je ressens un léger hoquet mental à l'idée de rapprocher le cinéma coréen tel qu'on le connaît (i.e. celui qui a eu la 'chance' d'être distribué dans nos contrées), à celui de Carpenter, Hooper, Craven, ou même d'horrorifico-assimilés tels que Delivrance, Alien, ou Sunshine, mais il faut avouer que tout y est : l'unité de lieu (ici un chalutier, ailleurs un vaisseau spatial, une forêt pas très accueillante ou une base en Antarctique), de temps (grosso modo une journée), une équipe aux caractères bien trempés et de préférence diamétralement opposés, et des morts en rang d'oignons. Tout ce que j'aime en fait.


A défaut de réalisme (je n'ai jamais mis les pieds en Corée du Sud, impossible de savoir si les gens y sont vraiment aussi tordus que ce que leur cinéma essaye de nous faire croire), il y a une certaine notion de vraisemblance qui se dégage de l'ensemble de la production cinématographique coréenne, puisque si les autochtones semblent avoir le coup de marteau facile, il y a toujours des règles plus ou moins tacites, propres à chaque film, qui viennent expliquer les agissements de chacun des personnages. On est pratiquement dans de l'anti-hollywoodien à ce niveau, puisque jamais on ne sombrera dans la facilité de rendre un personnage méchant parce que c'est le Méchant, justement. Un 'code de conduite' qui fonctionne parfaitement bien ici, on garde les pieds sur terre, ou plutôt sur le pont : la première partie, dans l'esprit de The Thing ou Alien, servira donc de catalyseur où se mélangent exposition, personnages et arrivée plus ou moins imminente de l'élément perturbateur. C'est sur ce dernier point que Sea Fog se révèle le plus habile, puisqu'en l'absence de monstre ou autre engeance surnaturelle, le film adopte un twist malin qui lui permet de se concentrer sur l'horreur humaine pure. Un pari réussi car les personnages restent fidèles à leurs convictions jusqu'au bout, l'affreux capitaine (impérialement campé par Kim Yun-Seok, comme d'habitude) par exemple, malgré ses (nombreuses) exactions reste toujours justifiable par son amour pour son rafiot, jusqu'au et même plus particulièrement lors du final débordant d'ironie. C'est la plus grande force du film : les réactions des personnages ont beau être excessives, les retournements de situation abracadabrantesques, rien n'y est jamais gratuit et l'ensemble respire même d'une certaine cohérence propre aux plus grands de ce genre.


D'autant que techniquement le film est très intéressant, la coupure de l'intrigue en deux parties ne portant pas que sur la trame scénaristique mais aussi sur la mise en scène, intime, très naturaliste et apportant un côté social dans sa première moitié (on pense volontiers à Kore-Eda ou même au Mother de Bong Joon-Ho), et versant très généreusement dans le supra-naturel à la sauce Carpenter ou Fincher (plans rapprochés sur les personnages, caméra s'affranchissant des limites du décor pour 'agrandir' le bateau et l'utiliser comme un personnage à part entière, forcément cette brume marine prononcée, et les lumières bien dramatiques qui en découlent) dans sa seconde. On dira ce que l'on voudra à propos du cinéma sud-coréen, mais force est de constater que les réalisateurs dans leur globalité y font preuve d'une minutie visuelle imparable, et Shim Sung-Bo n'échappe pas à la règle tant sa mise en scène est précise et limpide.


Alors malheureusement tout n'est parfait dans Sea Fog, l'épilogue bien que réussi y est peut-être de trop, et surtout cette damnée première partie manque énormément de dynamisme ; on pose la caméra et on avance tranquillement, sans savoir où aller, en distillant au passage quelques fausses pistes de-ci de-là. La seconde partie profite de cette relative indolence pour attaquer sec et fort, mais c'est un peu comme endormir le spectateur pour le réveiller avec un seau d'eau glacée dans la foulée : l'effet fonctionne sur le moment mais manque à la fois de subtilité et d'équilibre. Bref, c'est un peu dommage, d'autant qu'il aurait suffit de resserrer l'intrigue au démarrage pour garder un rythme vif sur tout le long du métrage. Est-ce que ça en fait un mauvais film pour autant ? Certainement pas, et je dirai même plus il y a une certaine perception du cinéma de genre qui ressort de cette construction, comme deux faces d'une même pièce, qui est définitivement intéressant. Pas vraiment thriller kimchi, pas vraiment drame social, à défaut de bouleverser le genre, Sea Fog prouve que le cinéma coréen s'ouvre lentement mais sûrement sur l'extérieur et a encore de belles années devant lui. Pas mal pour un premier film.

Créée

le 9 avr. 2015

Critique lue 611 fois

5 j'aime

HarmonySly

Écrit par

Critique lue 611 fois

5

D'autres avis sur Sea Fog : Les Clandestins

Sea Fog : Les Clandestins
Vivienn
7

En pleine tempête

Passé l’excitation de retrouver Bong Joon-ho et Shim Sung-bo à la co-écriture d’un même film, plus de dix ans après Memories of Murder, difficile de contenir son impatience : et pourtant, c’est...

le 1 avr. 2015

38 j'aime

Sea Fog : Les Clandestins
LeBarberousse
7

Chronique d'un naufrage annoncé

Depuis ces vingt dernières années des réalisateurs tels que Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon, Na Hong-Jin, Hong Sang-Soo, Lee Chang-Dong, Kim Ki-Duk, Im Sang-Soo ou Bong Joon-Ho pour ne citer qu’eux ont...

le 10 nov. 2014

23 j'aime

1

Sea Fog : Les Clandestins
Gand-Alf
7

Dans la brume électrique.

Scénariste du grandiose Memories of Murder, Shim Sung-Bo passe le cap de la mise en scène avec Sea Fog, sous le parrainage du cinéaste Bong Joon-Ho, également co-scénariste de ce premier essai très...

le 21 mars 2016

19 j'aime

Du même critique

Portal 2
HarmonySly
10

I'm in spaaaaace

Critique garantie sans spoiler. C'est certainement présomptueux de noter d'un joli 10 un jeu que l'on a fini comme un goinfre le jour-même de sa sortie, mais pour Portal 2 j'ai envie de faire cette...

le 20 avr. 2011

153 j'aime

29

Sucker Punch
HarmonySly
2

Les aventures de Zack & Steve (Warning : Spoilers Ahead !)

« John ! John ! John ! Cʼest affreux ! Cʼest horrible ! Cʼest... » En entrant dans le bureau, John tombe sur son collègue, absorbé dans la lecture dʼun livre. « Mais, John, tu lis ? What the fuck ? -...

le 31 mars 2011

142 j'aime

89

Her
HarmonySly
10

Ghost in the Machine

(Je tiens à préciser que je tâcherai d’écrire cette critique en évitant tout spoiler gênant, mais difficile de parler d’un film aussi riche sans dévoiler quelques éléments d’intrigue. Par avance, je...

le 16 janv. 2014

129 j'aime

51