Un peu à l'image de nos premiers instants vécus en compagnie de Franck Poupard - alias Poupée -, il ne semble pas tout de suite évident de savoir sur quel pied danser devant Série Noire...
Effectivement, au vaste milieu d'un terrain vague, toujours le même - son antre de solitude et petit coin de réflexion à haute-voix - la folie ne semble pas seulement guetter le démarcheur en quincaillerie Poupard, mais déjà l'atteindre... Et à Patrick Dewaere de nous mettre en garde : il faudra compter sur lui et sa réalité d'écorché vif pour incarner ce petit arnaqueur pas-tout-seul-dans-sa-tête, faussement jovial mais nerveux, et au verbe fleuri mais menteur, invoquant la poisse pour excuse majeure.
Le réalisateur Alain Corneau, avant même de nous présenter la petite vie de Poupard, nous l'envoie se confronter direct au chant des sirènes, la sienne étant quasi-muette, d'une fille de 16 ans aux yeux tristes (une toute jeune Marie Trintignant pas facile à reconnaître) que sa vieille tante à l'habitude d'offrir sur un plateau à qui voudra bien la rémunérer. "Poupée" repoussera ses avances. La petite en tombera folle amoureuse.
On découvrira ensuite que Franck vit dans une vieille baraque bordélique de banlieue. Sa femme (Myriam Boyer) ne fait plus le ménage... En fait, il semblerait qu'elle a toujours fini par arrêter de le faire, après chaque déménagement. Il faut dire que ce n'est pas trop la fête à la maison, qu'on ne se cause plus. Alors, après une énième dispute, elle finira par se tailler - prenant soin de bien saboter les fringues de son ex...
Entre-temps, une scène surréaliste au café d'en face, un petit tour chez son patron peu scrupuleux (énorme Bertrand Blier !) à l'invité mystère, direction une nuit en taule, nous font découvrir que, décidément, Poupard est une sacrée tête brûlée.
A son retour de taule, et désormais seul chez lui, après que Mona (la petite prostipute) a payé sa dette/caution, Poupard range, nettoie nickel - et en moins de deux - l'intérieur de sa vieille bâtisse branlante. Poupard est maniaque, Poupard est amoureux, Poupard se retrouve enfin en tête-à-tête avec lui-même... D'ailleurs, Mona pourrait bien être la femme parfaite le concernant, en dehors de ses "cochoncetés" : il causera pour les deux. Mais comment a-t-elle pu payer cette caution ? Et pourquoi veut-elle partir immédiatement avec lui ? Où ? Et avec quel argent ?
Je ne parlerai pas du personnage de Tikidès, sorte d'immigré probablement clandestin, un peu simplet, "vouvoyeur", et en quête d'amitié, à qui Poupard fera tout un cinéma insensé... Ok, je viens de le faire. Mais plus l'intrigue avancera, plus Poupard s'isolera dans sa tête, se parlera à lui-même, perdant totalement le sens des réalités : il n'y aura qu'à voir avec quelle rage il cherchera le flingue dans la chambre, ses difficultés à mettre à exécution son plan (le flingue dans la mauvaise main), comment il ira se taper à mort la tête contre sa caisse, jusqu'à cette toupie finale aussi pathétique qu'émouvante...
Une grande prestation de Patrick Dewaere donc, un dernier mano a mano avec son enflure de patron des plus surréalistes et jouissifs, de bonnes répliques parfois très drôles, un certain suspense, un épilogue puissant, et tout juste quelques longueurs ou facilités scénaristiques (il en fait du boucan chez la vieille !) histoire de pinailler, Série Noire change pas mal de ce qu'on a l'habitude de voir dans le genre polar français. Et c'est tant mieux !