Alors que les aventures cinématographiques de l'agent secret crée par Ian Fleming fête son demi-siècle, une question se pose : un James Bond peut-il être plus qu'un bon James Bond ? Peut-il être un bon film ? Peut-il être un grand film ? Aux deux premières questions, Casino Royale avait répondu par l'affirmative. L'exagerement décrié Quantum of Solace n'avait pas demerité non plus, malgré l'impitoyable grève des scénaristes de 2008. Pour ce qui est de la troisième question, Skyfall sort l'artillerie lourde : un réalisateur oscarisé (Sam Mendes), un des meilleurs chef-opérateurs du monde (Roger Deakins), un Javier Bardem à coupe exotique (gage de qualité) et un budget faramineux, merci à la MGM fraichement renflouée à grands frais.

L'éclatante réussite de Casino Royale devait beaucoup à Daniel Craig, il faut le reconnaitre. Le spectateur ne boudait pas son plaisir. Un James Bond tout neuf, un peu canaille et plutôt rustre, malmenait l'héritage familial. La préparation de son étérnel martini ? I don't give a fuck. Son Aston Martin ? Il l'éclatait dans la cambrousse au sein d'une course-poursuite avortée (record mondial de tonneaux pour un accident de voiture à l'écran, parait-il). Le script était efficace, vénéneux, mais ne reposait au final que sur la première aventure écrite du héros, déjà adaptée pour la télévision dans les années 50 - avec Peter Lorre dans le rôle du diabolique Le Chiffre. Daniel Craig était le petit caillou dans la botte du mythe. Sa simple présence rafraîchissait la saga.

Ici, le retournement de situation est plutôt amusant : c'est plutôt le metteur en scène qui a envie d'en découdre avec le personnage. Skyfall remet en question la virilité de son personnage. Finie la crise d'adolescence de Casino Royale, Bond doit payer le prix. De ses errances, de son train de vie, de ses sempiternelles "résurrections" (sa specialité selon lui...). Renvoyé sur le terrain alors qu'il ne sait même plus tirer droit (au pistolet, j'entends), il doit faire face à ses traumas les plus profonds, un monde à la violence plus torve, et à une sophistication qui le dépasse un peu, pour être honnête. Sa Némésis est un hacker de génie, et son maitre d'armes, avare en gadgets derniers cris, lui soutient qu'il pourrait faire plus dégats que lui en restant dans son pyjama devant son ordinateur. Un poil professoral, ce geek acnéique, renvoie l'idole à ses chères études, exposant la génèse d'un tableau de Turner.

Il aura bien fallu un auteur hollywoodien, pour faire de James Bond le héros blessé de la Grandeur Britannique Perdue. Le-dit tableau de Turner, c'est "Le Dernier Voyage du Téméraire", un vestige de la bataille de Trafalgar, une fierté nationale, remisée au garage. Comme à chaque fois qu'on essaie gentiment de faire comprendre que l'heure de la retraite a sonné, 007 ne relève pas. Il ne se pense pas, balaie toute remise en question d'un revers de la main. Le spectateur prend un grand plaisir à voir souffrir ses idoles. La "chute du ciel" auquel le film semble faire allusion, c'est la chute qui le fait passer pour mort au début du film. C'est aussi celle du semi-dieu (père britannique - mère suisse...) tombant des cieux.


Mais si le Monde a changé, si taper sur un clavier est plus efficace que d'appuyer sur la gachette, si l'Angleterre est depassée, le MI6 ringardisé, quelle réponse peut bien formuler James Bond ? Ignorer. Car faire fi du problème, c'est souvent la résoudre, 007 sort l'Aston Martin du garage (un peu son "Téméraire" à lui finalement...) et part là où la force de frappe virtuelle de son ennemi ne pourra jamais l'atteindre, off the grid.


Si Skyfall peut être vu comme un objet à part dans la série, c'est bien parce qu'il colle à son personnage, et à cette ligne de conduite : torturer le surhomme. Le script s'éloigne des arabesques propre aux films d'espionnage et reste parfaitement lisible. Simple. Sans trop de spoiler, quatre mouvements : prologue / Shangaï / Londres / Ecosse. Ce retour à la ligne claire n'est pas sans évoquer l'autre très grand blockbuster de l'année, The Avengers, qui sonnait lui aussi le glas d'une certaine boulimie de narrations tentaculaires à Hollywood. A la Nolan, dirons-nous.


Digression mise à part, Skyfall ne doit d'ailleurs peut-être pas tant à Christopher Nolan qu'on a bien voulu le dire. Le parallèle est aisé (la cave, le trauma) mais c'est à mon sens éluder l'équilibre qui sous-tend le film de Sam Mendes, la propension de Skyfall à garder ces questionnements en dedans. A lire l'ensemble de la critique française, on pourrait croire à un drame intime appuyé sur la conflictuelle relation entre M et Bond. La question affleure toujours et n'est jamais vraiment appuyée, heureusement. Il s'agit plutôt d'inscrire Bond dans un parcours transitionnel douloureux. Il vacille mais ne rompt jamais, se débat contre le déroulement implacable du drame, opposant lance-grenades et sentences péremptoires (I never liked this place anyway) aux horreurs de la contingence. C'est ce combat entre le film et son personnage qui fait tout le sel du dernier James Bond.
Antoinescuras
9
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le 13 nov. 2012

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Antoinescuras

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