Percer le sens d'une intrigue qui fond comme neige au soleil

Malheureusement, cette critique comporte de nombreux spoilers susceptibles de vous dévoiler certains aspects de l'intrigue de Snowpiercer, Le Transperceneige de Bong Joon-Ho, les écarter de mes différentes observations rendrait l'ensemble de ma critique bien trop pauvre. Vous voilà prévenus chers lecteurs. Si vous avez déjà visionné ce film, cette analyse vous permettra sûrement de percevoir la façon dont j'ai reçu ce film, libre à vous d'être d'accord ou non avec moi. En revanche, si vous cherchez seulement à récolter un avis pour estimer si ce film vaut le coup ou non, ne soyez pas surpris de voir certains pans de l'intrigue dévoilés dans ces quelques lignes. (Honnêtement vous ne perdrez pas grand chose)

Adapté de la bande-dessinée française Le Transperceneige publiée dès 1984 (belle coïncidence je l'avoue) par Casterman, le long-métrage cherche, naturellement, à retranscrire une histoire plutôt originale qui saurait charmer n'importe quel fan de SF ou de post-apo. Je n'ai pas lu la BD, je ne saurais juger par conséquent de la fidélité de l'adaptation en question.

Seulement, le long-métrage présente, pour moi, une première faille. Avant de le voir, je n'ai pas appréhendé Snowpiercer comme un film d'action, son affiche me faisait plus supposer une sorte de dystopie dans un système réduit à l'échelle d'un train : des rapports de force perpétuels au sein d'une entité perpétuellement mobile (le fameux train) dans un environnement complètement inerte (une Terre gelée dans son intégralité).

De même, l'histoire en soi, même si cela reviendrait éventuellement à remettre en question le travail des scénaristes de la bande-dessinée, pullule de nombreuses failles qui rendent l'histoire difficilement crédible, un brin fantaisiste et non fantastique comme on s'y attendrait. Le choix du train est tout à fait discutable lorsqu'on sait qu'un bunker futuriste aurait simplement suffit à protéger une population de l'accident qui a causé cette ère glaciaire. Mais ce serait là s'attaquer au cœur de l'oeuvre et ce n'est pas ce que je cherche, car je salue le choix du train, qui présente un panel d'idées envisageables en matière de réalisation cinématographique extrêmement large.

J'enviais déjà les moments où je contemplerai cet ouvrage dessiner son sillage sur des étendues glacées entre quelques édifices figés dans le temps. Bref, j'avais envie qu'on m'en mette plein la vue, sans toutefois délaisser la dimension maîtresse qu'est la quête d'ascension (socialement verticale, spatialement horizontale) de ces passagers. Or, les vues extérieures sont rares et peu appréciables, les quelques instants de contemplation des paysages enneigés se comptent sur les doigts d'une main. En savant ça, j'ai compris que le film était tout le contraire de ce que j'avais supposé.

Bon, après avoir saisi ce que serait le film pour les deux prochaines heures, j'ai décidé de m'accrocher à mon siège et d'essayer d'apprécier au maximum le spectacle qui m'était délivré. Les premières minutes du film s'ouvrent sur une courte explication de la situation : en 2014, la Terre est entrée dans une ère glaciaire suite à de multiples expériences menées sur le climat avec, entre autres, l'usage d'un gaz nommé le «CW-7» dans l'atmosphère, qui avait pour rôle initial de limiter le réchauffement planétaire. Visiblement, on a un peu trop abusé sur les doses dudit gaz et les seuls survivants à la catastrophe ont tous pensé qu'il était mieux pour eux de se laisser entraîner dans un train conçu pour leur survie.

Le train, en lui-même, est assez fascinant. Conçu par un personnage particulier à l'histoire : Wilford, dont le nom revient à plusieurs reprises au fil de l'histoire et dont on suppose le rang ultime par rapport aux autres voyageurs. Il vit au niveau de la locomotive et il ne nous apparaîtra qu'à la toute fin du film. Avant ça, on comprendra qu'il est redouté par les personnes vivant à l'autre extrême du train, les plus pauvres, parquées dans une misère extrême et condamnées à se nourrir de barres de protéines noires à la consistance plus que douteuse. Pour ceux vivant plus à l'avant, «Wilford est miséricordieux», la figure du despote apparaît sporadiquement, même si, à mon goût, elle nous est parfois un peu vomie au visage (le passage où les enfants chantent à la gloire de Wilford est assez insupportable).

Nous, spectateurs, nous nous retrouvons en 2031, soit 17 ans après la catastrophe, à suivre Curtis, un de ceux qui vivent dans les derniers wagons du train. Lesdits voyageurs sont traités sauvagement et c'est dans cette première partie du film que Snowpiercer démontre à quel point il fera usage de violence dans son propos. Dans un premier temps, cela peut sembler légitime, comme lorsqu'en guise de bonne leçon, un homme se voit amputer de son bras (congelé en passant son bras à l'extérieur et puis brisé à coup de masse) parce qu'il s'était rebellé contre les gardes et l'imbuvable Mason, chargée de faire régner l'ordre parmi les "queutards".

Dès les premières séquences, on comprend que le film sera un huis-clos pur et dur, impensable de sortir du train ne serait-ce que quelques instants. Et c'est assez péniblement que l'on évolue progressivement de voiture en voiture : bastons sanguinolentes, tirs à bout portant et poignardages se suivent de manière assez insipide. Quelques personnages viennent diluer le propos mais se distinguent difficilement à l'exception de Namgoong et sa fille, tout deux shootés au Chronole (une drogue faite à partir de déchets industriels, véritable monnaie d'échange dans les derniers wagons) qui serviront à Curtis pour ouvrir les différentes portes séparant les wagons. Les personnages véritablement intéressants sont rares, la plupart meurt très rapidement et parfois dans des circonstances vraiment peu originales.

C'est là que le film perd toute sa saveur, chaque wagon est différent et est censé ouvrir sur un espace inconnu, mais plutôt que de nous faire découvrir toute la complexité d'une telle machine, le réalisateur entrecoupe l'aventure de ses protagonistes par des confrontations d'une violence injustifiée et risible. Sans évoquer les nombreux détails inexpliqués ou incohérents : le wagon-potager, l'aquarium (coucou je fais cohabiter ma raie manta, mes sushis et mon requin-scie dans 60m3), la salle des machines ridiculement petite, le wagon "services-secrets" (wtf?), le wagon sauna, le wagon hammam, le wagon piscine, le wagon salle de défonce et le wagon pataugeoire...

En fait, le film me fait surtout penser à ces barres de protéines (faites en réalité à partir d'insectes), qui m'ont tout de suite rappelé Soleil Vert. Leur apparence cache clairement leur composition, comme Snowpiercer, qui m'avait apparu comme un film beaucoup plus rythmé et réfléchi, avec une mise en scène poétique éventuelle. Finalement, j'ai assisté à un film honorable mais bien trop confus sur l'idée qu'il défendait. Snowpiercer parle de tout et de rien, de telle sorte qu'il est (pour moi) impossible d'en tirer une conclusion claire.

Je suis, habituellement, friand de mindfuck capables de vous laisser la bouche grande ouverte une fois le générique défilant sous vos yeux, Snowpiercer n'a pas su provoquer cet effet-là car son rythme est mal maîtrisé et son style oscille bien trop entre film d'action, d'anticipation, de science-fiction et thriller, rendant le tout difficile à digérer et à apprécier à sa juste valeur.

Ici, la vague quête de Curtis vers Wilford ne sert à rien, ne mène à rien, si ce n'est à une vague explication de "l'équilibre" nécessaire à la survie de tous, qui débouchera par la suite à une ultime rixe où le train viendra à s'accidenter. Le film se termine sur deux personnages sortant du train, l'atmosphère s'est soit disant réchauffée, on y perçoit la tentative désespérée du réalisateur de nous montrer qu'un espoir renaît avec sa musique un peu trop persistante alors qu'on sait très bien que les deux derniers finiront par mourir de froid s'ils ne se sont pas bouffés entre eux auparavant.

Pendant le film, j'ai longuement réfléchi à comment je construirai ma critique sur un film aussi inégal, parce que certains passages m'ont vraiment plu et d'autres m'ont tout juste donné envie de sortir de la salle. J'ai voulu me contenter d'évaluer chaque passage du film en fonction de la progression de Curtis et de sa troupe, voiture par voiture, ce qui, de mémoire et grossièrement, donne ça :

Début - Derniers wagons, tous sont entassés les uns sur les autres et on comprend que certains d'entre eux commencent à en avoir un peu ras la casquette : 7/10 ; les personnages ne sont pas détestables au premier abord, le tout est bien introduit et l'ambiance séduit.

- La révolte se précise, Curtis passe à l'action : 6/10 ; la révolte semble logique, Mason, interprétée par Tilda Swinton est détestable à souhait mais devient vite agaçante. Le jeu d'acteur des hommes de mains et gardes est peu remarquable.

- On récupère Namgoong, indispensable pour ouvrir les portes : 8/10 : le personnage de Namgoong est vraiment bien travaillé et intéressant. Les répliques s'enchaînent bien et on a hâte de découvrir le reste du train.

- Arrivée à la cuisine, là où sont produites les fameuses barres de protéine (Curtis comprend aussi pendant ce passage que les messages qu'on lui envoie viennent des quartiers supérieurs du train - on comprendra à la fin que c'est Wilford qui sera derrière tout ça) : 7/10. Le cuisinier est assez marrant, la découverte de la recette des barres protéinées est assez écœurante mais rien de bien surprenant.

- Passage dans le tunnel/baston avec les hommes cagoulés dans le noir/Torche olympique (trololol) : 3/10 c'est là que le film se déchire, on assiste à un gros délire de camé avec des mecs encagoulés qui trempent leur hache dans du sang de poisson (faut pas jouer avec la nourriture). Plein de gens meurent, Mason est prise en otage.

- L'aquarium et la pause dégustation de sushi avec l'ennemi : 5/10, le rendu esthétique est beau mais ça ne tient pas la route.

- La salle de cours : 2/10, on se croirait dans un remake de l'élève Ducobu mixé à du Charlie et la chocolaterie, rien n'est cohérent, on bouffe des œufs pour la nouvelle année, on se crache à la gueule et finalement on se fait buter par la maîtresse.

- Les wagons piscine/hammam/sauna + fusillade à distance dans un virage par -30°C : 1/10, le passage le plus détestable du film, on ne comprend rien, de l'action/violence injustifiée et profondément débile.

- Salle des machines + réflexion/discussion sur leur place dans ce train : 8/10, la conversation se tient, les deux personnages sont les plus appréciables et arrivent à convaincre que tout n'est pas à jeter. Le petit retournement de situation avec l'explosif qui permettrait une éventuelle fuite ravive un peu la flamme. On remarque aussi dans ce passage la faculté qu'ont les personnages à se remettre de leurs blessures, une balle dans le bide, t'inquiètes, 10 minutes et c'est bon, me revoilà en scène à me fracasser avec 20 types.

- Rencontre avec Wilford et sa demoiselle détestable : 4/10, c'est mou, rien de bien nouveau, la performance de l'acteur pas incroyable, on pressent la fin pourrie.

- Découverte du rôle des enfants dans les mécanismes de la locomotive : 3/10.

- Fin pourrie : 2/10.



Voici aussi l'avis d'un américain sur le script en général, avec qui je suis entièrement d'accord. (ici:http://scriptshadow.net/screenplay-review-snowpiercer/) :

«Play devil’s advocate with every idea you come up with, especially when you’re creating new worlds in sci-fi or fantasy scripts. Snowpiercer could’ve avoided so many plot holes if someone would’ve simply challenged its goofy ideas. “Why would someone build a train to keep people warm?” “If someone has an undying energy source in a freezing world, why are they using it on a train instead of as a heat source?” “If nobody can live outside, who’s maintaining the 30,000 miles of track the train is on?” “Do you really think that 20 years could pass without a single track maintenance problem?” Playing devil’s advocate ensures the script doesn’t cheat»
Mesmaeker
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le 2 nov. 2013

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Mesmaeker

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