« Quel monde, quelle vie, je suis amoureuse ! »

Sur la route est une adaptation du roman le plus connu de Jack Kerouac. Son auteur est celui qui emploiera pour la première fois le terme de Beat Generation, ce mouvement littéraire et artistique né dans les années 50 ayant ébranlé la société américaine considérée alors comme puritaine et dont Sur la route est un des monuments littéraires. La Beat Generation inspirera d'autres mouvements comme mai 68, l'opposition à la guerre du Vietnam ou le mouvement hippie.

Par ailleurs, Sur la route est considéré par la rédaction de l'American Modern Library comme le 55ème des 100 meilleurs romans du XXème siècle en langue anglaise. Autant dire qu'adapter ce morceau de littérature est un véritable défi surtout quand on sait que Francis Ford Coppola, Joel Schumacher, Jean-Luc Godard et Gus Van Sant furent un temps attaché au projet. Finalement Francis Ford Coppola détenteur des droits fit appel à Walter Salles après avoir découvert son Carnets de voyage, un road movie avec le grand Che.

Sur la route est à la base un livre presque autobiographique de Jack Kerouac même si son nom a été changé par Sal Paradise de même pour les autres personnages comme Neal Cassady qui devient Dean Moriarty ou William S. Burroughs devenant Old Bull Lee. Donc on attache davantage de curiosité au projet surtout si comme moi, vous n'avez lu pas le roman.

Au final, ce sera une impression mitigée car le film a beaucoup de qualités comme il a énormément de défauts. Une œuvre autant passionnante qu'elle peut être chiante. Une œuvre vivante car elle compte le même ratio de qualité et de défauts qu'un être humain.

Avant d'aborder le film en lui-même et son sujet, parlons technique. La réalisation est réussie, le réalisateur Walter Salles a été capable d'insuffler cette notion d' « ode aux grands espaces, à l'épopée vers l'ouest, à la découverte de mondes nouveaux ». Sa réalisation nous enivre d'un sentiment de liberté et nous investit de l'âme de l'Amérique. Une Amérique dont on verra beaucoup en passant du Montana et la Californie ou Manhattan. Les figures du voyage avec ces plans superbes sur les paysages de l'Ouest donnent une furieuse envie de vivre sans compter que la merveille de mise en scène de Walter Salles bien aidé par une superbe lumière et des décors à tomber. On y croit surtout on sera ravi de faire l'impasse des plans supposés psychédéliques dont la plupart de films abordant la drogue douce et dure semble se faire un devoir de les ajouter même si ça peut être très réussi comme l'opéra-rock des Who, Tommy.

On ne pourra pas non plus oublier la musique, signée par Gustavo Santaolalla, compositeur déjà détenteur de deux Oscars de la meilleure musique de film (Le Secret de Brokeback Mountain, Babel). Orientée jazz et blues, deux genres que j'affectionne particulièrement, elle permet aussi de coller à cette époque, de quoi revivre durant quelques heures dans cette autre Amérique pas si lointaine que ça mais déjà tellement vieille.

Le casting est une pure merveille sans fausse note. On pourrait même applaudir les différents acteurs n'hésitant pas à se mouiller parce que ces rôles seront loin de leur icône. On pense notamment à Kristen Stewart et Garrett Hedlund. Kristen était l'égide du puritain movie Twilight dont les valeurs mormones sont exhibées (vierge jusqu'au mariage entre autre). Kristen incarne ici une fille facile, une putain comme dirait d'autres dont la libération sexuelle claque autant que la répression sexuelle du personnage de Bella. La voir entamer une branlette à deux personnages durant un voyage en voiture foutra un choc aux fans de la saga. Pareil pour Garrett Hedlund dont l'image de beau gosse sera fortement écorné après son incarnation de Dean Moriarty. Un homme comme il en existe des milliers dans le monde. Tourmenté et obsessionnel mais provoquant malgré tout la fascination de son entourage et en même temps la destruction de ses amis les plus proches comme une véritable sangsue. Car le personnage de Dean, même s'il est incarné à merveille, demeure le plus grand défaut du film.

On connait tous un Dean dans notre vie, on sait tous qu'il fascine la gente féminine et masculine par sa bestialité et sa beauté, un mélange faisant fureur. Mais au-delà d'une première approche parfois fascinante, ce genre d'homme finit par lasser par le manque de profondeur et leur folie. On sait que la plénitude de leurs vies sera éphémère comme des insectes attirés par la lumière, ils finissent par se brûler et en demeure meurtris à jamais. Or malheureusement, il est le point d'ancrage de Jack Kerouac dans Sur la route. On voit même que sa vie sans Dean n'a que peu d'intérêt. Les rares passages avec Kerouac seuls sont zappés avec une longue ellipse.

On se retrouve obligé de suivre Dean alors qu'il nous aura déjà profondément ennuyés par la répétitivité de ses actions : coucherie, drogue/alcool, vol. On veut nous faire l'éloge de la Beat Generation, on n'a qu'un long portrait morne et répétitif, provoquant l'ennui une fois l'heure passée et la stupeur quand on découvre qu'il reste une heure vingt de plus. Les seuls passages valant le coup sont ceux justement où le personnage de Dean passe au second plan comme l'escale chez William S. Burroughs incarné par Viggo Mortensen avec sa femme incarnée par une Amy Adams méconnaissable ou la rencontre avec Camille (Kirsten Dunst) donnant au passage un des plus belles scènes du film au terme de cette danse à priori anodine ponctuée par une magnifique chanson et ces paroles prononcées avec magie par la belle Camille : « Quel monde, quelle vie, je suis amoureuse ! ».

Mais ces femmes, Camille et Marylou, finissent par lasser à leur tour par leur naïveté, leur propension à croire qu'elles réussiront à changer Dean. Toutefois si le personnage de Camille passera rapidement au second plan, ce ne sera pas le cas pour Marylou. Cette dernière provoquant la fascination de Jack Kerouac, on notera alors plusieurs scènes marquantes comme cette danse effrénée, quasi sexuelle, avec Dean ou ce plan dans la voiture où elle pleure sur les paroles d'un autostoppeur quand elle comprend enfin qu'elle n'arrivera jamais avec Dean. L'amour est un duel... et elle a perdu.

Sur la route manque cruellement de débats philosophiques, de réflexions comme s'il avait peur de manquer un public mais quel public ? Pourtant on sent qu'il en a envie mais au final c'est tellement inexploité qu'on en sort avec un énorme regret. Cette impression qu'on est passé à côté d'un chef d'œuvre. Toutefois il en fallait beaucoup tout de même.


Conclusion:

En adaptant ce monument de littérature, Walter Salles a pris un sacré risque et il s'en est plutôt pas mal sorti en réussissant à nous faire rêver de cette Amérique-là avec ces paysages aussi fluctuants que les saisons. Malgré tout, en concentrant l'intrigue autour de Dean Moriarty, Sur la route finit aussi par provoquer la lassitude chez le spectateur tant les évènements qui s'enchaînent sont répétitifs et manquant beaucoup de vie.

Il en demeure tout de même que le film fascine autant qu'il repousse. Une de ces oeuvres marquantes dont l'impact restera longtemps après le visionnage.
Marvelll
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le 26 mai 2012

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